Taïwan remet à nouveau TSMC au cœur d’un débat mêlant économie, sécurité nationale et géopolitique. Selon des informations recueillies par des médias spécialisés, le gouvernement taïwanais envisagerait d’durcir les conditions d’exportation ou de déploiement à l’étranger de technologies de procédés avancés, avec une idée très précise en tête : autoriser à l’extérieur de l’île seulement des nœuds de deux générations en retard par rapport à la technologie la plus avancée en production commerciale chez TSMC.
Concrètement, cette proposition — connue dans divers milieux sous le nom de règle N-2 ou “N+2” (où le décalage de deux générations est essentiel) — compliquerait considérablement la stratégie d’expansion de TSMC aux États-Unis et dans d’autres pays alliés. Et ce, à un moment particulièrement critique : alors que Washington accélère la relance de sa filière des semi-conducteurs et que la compétition mondiale s’intensifie entre les États-Unis et la Chine.
Qu’est-ce que la règle “de deux générations en retard” et pourquoi est-ce important
La logique de cette norme est simple à expliquer, bien que sa mise en œuvre soit complexe : si le nœud le plus avancé de TSMC à Taïwan est “N”, les usines à l’étranger ne pourraient fonctionner — sans autorisations spéciales — qu’avec une technologie N-2 (de deux générations de moins avancée). Si aujourd’hui le leadership industriel est associé à des procédés de 3 nm, la limite pour l’étranger serait, en gros, située autour de 5 nm et 7 nm, qui restent essentiels pour une grande partie de l’électronique actuelle, mais ne représentent plus la pointe de la technologie.
Ce qui change ici, ce n’est pas seulement le critère, mais aussi le niveau de rigueur. Historiquement, Taïwan a instauré des restrictions pour empêcher la réplication de ses méthodes de fabrication avancée à l’étranger. Un durcissement à deux générations renforcerait ce principe à un moment où le monde cherche à doubler sa capacité de production pour réduire les risques d’approvisionnement.
Les enjeux : préserver le “Silicon Shield” en pleine pression géopolitique
La justification taïwanaise repose sur un concept qui circule depuis des années dans la politique internationale : le “Silicon Shield” (bouclier de silice). L’idée est que la position centrale de l’île dans la fabrication de puces avancées renforce l’intérêt mondial pour sa stabilité et sa sécurité. Si une part importante de la fabrication de dernière génération était délocalisée, cet avantage stratégique s’amincirait.
Il n’est pas étonnant que, en décembre, des voix du gouvernement taïwanais aient publiquement insisté pour que la production des puces les plus avancées reste sur l’île. La discussion ne se limite pas au secteur industriel : Taïwan ajuste depuis plusieurs mois ses contrôles à l’exportation sur les technologies à double usage, dans une tendance alignée avec la montée en puissance de la sécurisation de sa chaîne d’approvisionnement technologique.
États-Unis, Arizona et calendrier de TSMC : le point de friction
Les enjeux à court terme se situent notamment en Arizona, où TSMC construit un complexe de fabrication (Fab 21) destiné à devenir un symbole de la relance industrielle américaine. Selon le calendrier publié par l’industrie, le site comporte plusieurs phases avec des technologies de plus en plus avancées.
La friction apparaît lorsque les États-Unis souhaitent produire des nœuds proches de la frontière technologique, tandis que Taïwan décide que l’extérieur ne peut utiliser que deux générations de retard. Si cette divergence se traduit par un frein réglementaire, cela pourrait affecter les calendriers, investissements et engagements commerciaux.
Pour TSMC, le dilemme est clair : chercher à être proche de clients stratégiques, diversifier ses risques géographiques, et répondre à la demande — notamment dans le domaine de l’Intelligence Artificielle. Mais Taïwan veut que le cœur du savoir-faire et de la production la plus sensible reste sur l’île.
La nuance essentielle : 5 nm et 7 nm ne sont pas “anciens”, ce sont des marchés
Dans le discours public, on tend souvent à simplifier : “le futur, c’est le 2 nm, le 7 nm est dépassé”. La réalité industrielle, elle, est plus nuancée. Les processus comme 5 nm et 7 nm restent des nœuds cruciaux pour de nombreux chips qui alimentent le marché : des composants mobiles, des serveurs, jusqu’à diverses solutions haute performance où le compromis entre coût, performance et disponibilité est tout aussi important que la taille en nanomètres.
Une règle N-2 ne bloquerait pas forcément toute expansion internationale, mais elle pourrait en changer la nature : plus de capacité sur des nœuds matures et une concentration plus forte de l’innovation sur Taïwan.
Risques indirects : chaîne d’approvisionnement fragmentée et politique de “réplique”
Le principal souci est l’effet domino. Si Taïwan durcit ses contrôles pour préserver son avantage, d’autres pays pourraient répliquer en restreignant à leur tour l’accès à l’équipement, aux matériaux, au logiciel, ou au talent. Cela fragiliserait la chaîne d’approvisionnement en en accroissant les coûts et diminuant la flexibilité.
Ce débat intervient alors que les restrictions technologiques deviennent un instrument de la politique extérieure. Au cours de la dernière année, Taïwan a modifié ses réglementations à l’export et ses investissements étrangers dans une optique de sécurité nationale. Parallèlement, les États-Unis et leurs alliés ont renforcé les contrôles sur les technologies clés pour contrer la montée en puissance technologique de la Chine dans les semi-conducteurs avancés. Dans ce contexte, la règle “de deux générations en retard” devient une pièce du même échiquier : la technologie n’est plus seulement un marché, mais aussi un instrument de puissance.
Quels scenarii possibles à court terme
À court terme, la question clé est politique et réglementaire : si le gouvernement taïwanais formalise cette règle comme norme officielle, TSMC aurait besoin d’autorisations supplémentaires pour déployer des procédés plus avancés à l’étranger. Deux options s’offriraient alors : ajuster leurs plans à ce qui est permis, ou négocier des exceptions au cas par cas en fonction des intérêts stratégiques et des engagements internationaux.
Quel que soit l’issue, le message est clair : Taïwan ne discute pas d’un simple détail technique. Il décide de la frontière technologique qu’il accepte d’exporter et des coûts — économiques et diplomatiques — qu’il est prêt à assumer pour préserver ses avantages sur l’île.
Questions fréquemment posées
Que signifie exactement la règle N-2 (ou “deux générations en retard”) en matière de semi-conducteurs ?
Cela implique qu’une usine à l’étranger ne pourrait produire qu’avec des technologies de procédé qui ont deux générations de retard par rapport au nœud le plus avancé disponible commercialement chez TSMC à Taïwan, sauf autorisation spécifique du gouvernement taïwanais.
À quels nœuds s’appliquerait aujourd’hui une restriction “de deux générations” si TSMC leader avec le 3 nm ?
De manière indicative, la limite serait située autour de 5 nm et 7 nm, qui pourraient être déployés à l’étranger avec moins de restrictions, tandis que les nœuds plus avancés resteraient soumis à des permissions supplémentaires.
Comment cette mesure pourrait-elle influencer l’expansion de TSMC en Arizona et la fabrication de chips aux États-Unis ?
Elle pourrait ralentir ou compliquer la mise en place de nœuds avancés aux États-Unis si le calendrier d’Arizona cherche à atteindre des frontières technologiques que Taïwan souhaite réserver.
Pourquoi Taïwan veut-il garder ses puces les plus avancées sur l’île ?
L’argument officiel tourne autour de la sécurité nationale, du leadership industriel et de la protection des technologies sensibles, ainsi que de la préservation du rôle stratégique de Taïwan dans la chaîne globale des semi-conducteurs.