L’Europe prononce une sentence : Intel a abusé de sa position dominante face à AMD après 16 ans de bataille judiciaire

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La justice européenne a tranché — sans mettre fin à l’affaire — l’un des dossiers les plus longs et symboliques de l’industrie des semi-conducteurs. Le Tribunal général de l’Union européenne a confirmé qu’Intel a abusé de sa position dominante sur le marché des CPU x86 pour freiner AMD, validant ainsi les pratiques anticoncurrentielles que Bruxelles poursuit depuis près de vingt ans. Toutefois, la Cour a considérablement réduit la sanction : de 376 millions d’euros à 237,1 millions d’euros, soit environ 278 millions de dollars.

Cette décision ne dispense pas Intel de ses responsabilités ni ne réécrit l’histoire. Au contraire, elle consolide le récit que de nombreux analystes et passionnés d’informatique considéraient comme acquis : pendant des années, le géant de Santa Clara a utilisé sa puissance de marché pour compliquer, voire bloquer, l’introduction de processeurs AMD auprès des grands fabricants d’ordinateurs.


Ce que le Tribunal général de l’UE a exactement décidé

Le verdict du Tribunal confirme la décision de la Commission européenne en 2023, qui avait déjà réévalué une partie de la sanction initiale imposée à Intel en 2009 — alors de 1 060 millions d’euros, un record en matière de lutte contre les ententes dans l’UE — en se concentrant sur ce qu’on appelle les “restrictions nues” (naked restrictions).

Ces restrictions ne se limitent pas à des remises agressives ou à des réductions de volume, mais incluent des paiements directs aux fabricants et distributeurs pour retarder, limiter ou annuler la commercialisation de produits équipés de processeurs AMD. Selon la Commission, puis aussi le Tribunal, Intel aurait versé ces sommes entre 2002 et 2006 à des sociétés telles que HP, Acer et Lenovo, conditionnant la présence d’AMD sur le marché de la consommation.

Le juge basé au Luxembourg considère que ces pratiques constituaient un abus de position dominante sur le marché x86, ayant eu un impact tangible sur la concurrence, en limitant la liberté des fabricants de choisir leurs fournisseurs et en restreignant l’accès d’AMD à certains segments de marché.


Pourquoi la sanction a-t-elle été réduite alors que l’abus se poursuit ?

Si l’abus perdure, pourquoi la sanction a-t-elle été revue à la baisse ? Le Tribunal général introduit un principe clé : la proportionnalité. Les juges estiment que la Commission n’a pas suffisamment pris en compte tous les éléments pertinents lors de la fixation de la pénalité en 2023, initialement de 376 millions d’euros.

Plus précisément, le Tribunal indique :

  • Le nombre relativement restreint de modèles d’ordinateurs concernés par ces restrictions.
  • La présence d’intervalles pouvant aller jusqu’à un an entre certains comportements anticoncurrentiels.

Avec ces éléments, la cour juge que la sanction de 237,1 millions d’euros reflète mieux la gravité et la durée de la violation. La réduction d’environ 140 millions d’euros n’altère en rien l’essentiel : Intel a abusé de sa position dominante et a enfreint la législation européenne sur la concurrence.


Un dossier de longue date : du record de 2009 à la correction finale

L’affaire Intel en Europe a une histoire :

  • 2009 : la Commission européenne inflige une amende record de 1 060 millions d’euros pour abus de position dominante sur le marché des microprocesseurs, combinant des remises de fidélité et des restrictions directes à la concurrence.
  • 2022 : le Tribunal général annule une grande partie de cette sanction, estimant que l’analyse économique n’avait pas été suffisamment rigoureuse à certains moments.
  • 2023 : la Commission reprend le calcul de l’amende, en se concentrant sur ce qu’on appelle les “restrictions nues”, et fixe un nouveau montant de 376,36 millions d’euros.
  • 2025 : le Tribunal général confirme la violation, tout en réduisant la somme finale à environ 237 millions d’euros.

La Commission et Intel peuvent encore faire appel de cette dernière décision devant la Cour de justice de l’UE, la plus haute juridiction européenne. Cependant, de fait, l’affaire touche à sa fin avec une conclusion claire : les pratiques d’Intel étaient anticoncurrentielles et contraires au droit européen.


Implications pour Intel… et pour AMD

Pour Intel, cette décision constitue une victoire à moitié. La société évite une sanction d’environ 140 millions d’euros par rapport à l’amende de 2023, et bien moins que la pénalité record de 2009. Mais elle perd en réputation et en légitimité juridique : il est désormais confirmé, noir sur blanc, qu’elle a abusé de sa position dominante sur le marché des CPU x86.

Alors que le fabricant tente de se repositionner face à NVIDIA et AMD dans les domaines de l’intelligence artificielle, des centres de données et de la fabrication de semi-conducteurs en tant que foundry, ces décisions rappellent que son passif en matière de concurrence restera sous le regard des régulateurs.

Pour AMD, la sentence revêt surtout un aspect symbolique que financier. Elle ne lui procure pas de compensation directe, mais constitue le reconnaissance officielle d’un constat que l’on murmurait dans le secteur depuis des années : durant une grande partie des années 2000, AMD a dû évoluer dans un environnement déséquilibré, où la qualité de ses produits n’était pas le seul facteur déterminant dans la sélection des CPU par les grands fabricants.

Ce contexte accentue la valeur, à posteriori, du tournant opéré par AMD au cours de la dernière décennie, notamment sous la direction de Lisa Su, tant dans les CPU que dans les GPU.


Un message pour l’ensemble du secteur technologique

Au-delà du conflit entre Intel et AMD, cette affaire envoie un message clair à toute l’industrie technologique : L’Europe n’oublie pas et ne se fatigue pas avec le temps. La UE a déjà montré, avec d’autres géants — comme Microsoft à l’époque — qu’elle était prête à maintenir durant des années des dossiers complexes jusqu’à obtenir une décision solide.

Cette décision renforce également l’idée que les régulateurs européens font la différence entre :

  • Une concurrence agressive mais légitime, par le biais de prix et de remises.
  • Et des accords qui franchissent la ligne, en conditionnant directement la disponibilité de certains produits sur le marché.

En résumé, le Tribunal général indique aux acteurs majeurs du secteur que les accords commerciaux ne peuvent pas devenir des barrières invisibles pour les rivaux plus petits, même s’ils aspirent à une part du marché.


Et après ?

Le prochain épisode consistera à déterminer si Intel ou la Commission saisiront la Cour de justice de l’UE. Il ne s’agit pas d’un nouveau procès complet, mais d’un examen limité à des questions juridiques.

En l’absence d’appel, la sanction de 237,1 millions d’euros sera définitive, et l’affaire sera considérée comme :

  • Une des batailles juridiques les plus longues de l’histoire du matériel grand public.
  • Un avertissement pour toute entreprise détenant une position dominante dans des secteurs clés comme les semi-conducteurs, le Cloud ou l’IA.
  • Une pièce supplémentaire dans le puzzle de la façon dont l’Europe souhaite réguler ses fournisseurs technologiques, qu’ils soient américains, européens ou asiatiques.

Pour l’instant, le marché x86 vit une période bien différente de celle des années 2000, avec AMD plus fort que jamais, Intel tentant de redéfinir son rôle à l’ère de l’IA, et une nouvelle vague de régulations numériques qui suggère que, dans la prochaine décennie, les pratiques commerciales des géants technologiques seront scrutées encore plus attentivement.

Source : reuters et elchapuzasinformatico

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