La Chine met TechInsights et des contractants de défense occidentaux sur sa liste noire : l’« annexe des entités non fiables » s’étend après la fuite d’informations sur l’utilisation de TSMC dans les puces Ascend de Huawei

La Chine met TechInsights et des contractants de défense occidentaux sur sa liste noire : l'« annexe des entités non fiables » s'étend après la fuite d'informations sur l'utilisation de TSMC dans les puces Ascend de Huawei

La Chine a renforcé encore davantage sa posture dans la dynamique technologique face à l’Occident. Le ministère du Commerce (MOFCOM) a ajouté de nouvelles entreprises étrangères à sa liste des “entités non fiables”, un outil qui interdit ou limite les transactions avec des acteurs jugés nuisibles à la sécurité nationale chinoise. Parmi ces intégrations, on distingue TechInsights, cabinet canadien de référence en matière d’ingénierie inverse des semi-conducteurs, que Pékin considère comme jouant un rôle clé dans la divulgation selon laquelle Huawei aurait utilisé technologies et composants produits par TSMC dans ses accélérateurs d’Intelligence Artificielle de la gamme Ascend. La mesure concerne également des acteurs du secteur aérospatial et de la défense, tels que Dedrone par Axon, Epirus, Elbit Systems of America ou BAE Systems, Inc., envoyant un message sans ambiguïté : la Chine ne tolérera pas les fuites ou la coopération qui, à ses yeux, pourraient affaiblir ses champions nationaux ou renforcer la capacité militaire de ses adversaires.

Ce seuil a été franchi après des mois d’enquêtes publiques et privées sur la chaîne d’approvisionnement des puces Ascend 910B/910C, notamment concernant l’origine des “dies” et de la mémoire à haute bande passante qu’elles contiennent. La thèse principale, bien connue dans le secteur, indique qu’en dépit des restrictions américaines depuis 2022 limitant l’accès de Huawei à la technologie de fabrication avancée, des échantillons et lots de composants sont parvenus aux produits de l’entreprise via des intermédiaires. Dans ce parcours, le nom de Sophgo a été fréquemment associé comme client intermédiaire pour des fondeuses internationales. Lorsque ces liens ont été révélés, TSMC a interrompu ses envois et le scénario de sancions et amendes pouvant atteindre des milliards de dollars aux États-Unis s’est concrétisé, selon des sources du marché, estimé à environ 1 milliard de dollars.

Pour Pékin, le cas TechInsights est exemplaire. Le gouvernement qualifie ses pratiques de “malicieuses” ou “pernicieuses” pour ses intérêts, un ton qui durcit en comparaison avec d’autres précédents inscrit sur cette liste. En intégrant la firme canadienne et un large groupe d’entités occidentales — certaines spécialisées en antidrones, guerre électronique ou intelligence — la Chine envoie plusieurs signaux : renforcement de la protection de son périmètre technologique, dissuasion face à de possibles futures fuites ainsi que représailles calibrées en réponse à la pression réglementaire de Washington et de ses alliés.

Qu’implique une inscription sur la liste chinoise des “entités non fiables” ?

L’inscription va bien au-delà du simple “veto commercial”. Concrètement, cela peut signifier une interdiction de transactions avec des personnes ou organismes chinois, des restrictions à l’investissement, des limitations à l’import/export et, dans le contexte actuel du traitement des données, des blocages à la transmission d’informations. Ce dernier aspect est particulièrement critique pour des sociétés comme TechInsights, dont le modèle repose sur l’accès au hardware, aux laboratoires et à la circulation de l’information avec les fabricants et clients en Chine, de Shenzhen à Shanghai.

Pour les fournisseurs de la défense listés, l’impact direct peut être limité — beaucoup opèrent déjà avec une extrême prudence —, mais il complique indirectement les chaînes logistiques, les services après-vente et les programmes civils en Chine, notamment dans les domaines à double usage (sécurité publique, aérospatial, capteurs). Par ailleurs, ce message dissuade les consultants, analystes et laboratoires spécialisés dans le démontage et l’analyse forensique des puces : la frontière entre recherche légitime et “actions nuisibles” s’est resserrée.

Le cas Huawei–TSMC qui a déclenché l’alarme

Le cœur du problème réside dans la traçabilité des puces Ascend. Des rapports techniques publiés récemment montrent qu’en dépit des sanctions, des designs et composants estampillés TSMC — associés aussi à HBM ainsi qu’à d’autres éléments de Samsung et SK Hynix — auraient été intégrés dans des modules de calcul IA destinés à Huawei. L’Ascend 910B est devenu un symbole : le plus performant accélérateur chinois en production de masse, une alternative locale face aux GPU de NVIDIA dans un contexte de restrictions sur le hardware IA. La version suivante, Ascend 910C, a ajouté une complexité supplémentaire en regroupant des dies en configurations de paquet avancé, alimentant la suspicion de supply chains pré-sanctions ou routes indirectes.

Pour Pékin, rendre cette cartographie publique n’est pas une simple démarche de transparence technique : cela donne du bois à Washington pour renforcer ses dossiers réglementaires et sape la compétitivité des champions chinois dans le domaine des accélérateurs IA, alors que SMIC et autres fondeuses nationales progressent en termes de capacité et de performance. De l’autre côté, les révélations alimentent la thèse selon laquelle ces mesures permettent de renforcer le contrôle dans un contexte où la gouvernance des frontières technologiques se durcit, avec pour objectif l’alignement entre contrôle des flux et protection des intérêts stratégiques.

Une fragmentation accrue : conformité, “de-risking” et nouvelles lignes de fracture

Ce double verrou — la liste des “entités non fiables” chinoise, et la liste américaine des “entités” — accélère un processus de fracturation de la scène mondiale. Les multinationales technologiques présentes sur ces deux terrains doivent désormais composer avec un risque réglementaire de plus en plus complexe : due diligence renforcée, audits fournisseurs, cloisonnement des données ou même une auto-limitation de leurs activités pour réduire le risque (de-risking).

Dans le domaine des semi-conducteurs, la tension est palpable. D’un côté, États-Unis et alliés resserrent le contrôle sur la lithographie avancée, les équipements d’emballage et les GPUs de pointe avec des régulations extraterritoriales. De l’autre, la Chine riposte par des contrôles à l’exportation sur des minéraux critiques (terres rares, gallium, germanium) et, désormais, par des sancions contre des entreprises qui mettent en danger leur chaîne d’approvisionnement ou coopèrent avec des adversaires stratégiques. Le résultat est un territoire miné, rempli de risques juridiques et opérationnels impactant délais, coûts et feuilles de route.

Impacts pour l’industrie de l’IA : un changement de paradigme ?

À court terme, la présence de TechInsights sur la liste constitue un signal fort pour l’ensemble de l’écosystème du “chip intelligence” : laboratoires, cabinets d’analyse, spécialistes en emballage et analyse de défaillances. La conséquence immédiate pourrait être une réduction de la transparence publique concernant les puces chinoises, ce qui ralentirait la compréhension extérieure des progrès de Huawei, SMIC et de leurs partenaires.

Pour les fabricants et fournisseurs occidentaux, cette mesure renforce la nécessité d’une double traçabilité : garantir que leurs livraisons et services ne contaminent pas la chaîne vers des acteurs sancionnés ou sensibles selon Washington ou Pékin. Parallèlement, leurs clients finaux — hyperscalers, data centers, intégrateurs — devront réévaluer leur risque quant à l’intégration d’accélérateurs chinois ou de composants en montage hybride, avec un focus accru sur garanties, mises à jour et soutien, dans un contexte de sanctions croisées.

Une liste dont le nom en dit long sur ses priorités

Ce listing ne se limite pas aux semi-conducteurs. Il inclut aussi des sociétés engagées dans la contre-mesure anti-drones, les radars de surveillance, la guerre électronique ou encore l’intelligence open source. Ce schéma laisse penser que Taiwan et la supériorité technologique militaire de sa zone immédiate restent prioritaires pour Pékin. Par ailleurs, cela souligne que les technologies duales — civiles avec un potentiel militaire — continueront à alimenter la friction réglementaire dans les prochains trimestres.

Quelles perspectives possibles ?

  1. Réactions des entreprises. Certaines des entités listées pourraient annoncer des mesures pour renforcer leur conformité, procéder à des retraitements ordonnés de contrats en Chine ou engager des recours légaux si cela est viable.
  2. Contrôles renforcés. Les autorités, des deux côtés du Pacifique, pourraient intensifier leurs mesures : licences plus strictes, listes élargies ou guides d’interprétation pour combler les lacunes dans l’application des sanctions.
  3. Effet dissuasif. Les laboratoires et analystes spécialisés dans le décryptage de puces sensibles seront davantage prudents dans la publication d’informations relatives aux circuits d’approvisionnement ou aux responsabilités géopolitiques.
  4. Reconfigurations de supply chain. Les fournisseurs intermédiaires exposés à la Chine pourraient envisager des relocalisations partielles, ou une stratégie “China+1” pour minimiser leur exposition aux risques régulatoires.

En résumé, cette escalade de Pékin accentue la fragmentation technologique mondiale déjà enclenchée en matière d’IA. La conséquence concrète sur le marché, au-delà des déclarations, sera une plus grande incertitude concernant les prix, les délais et la disponibilité du hardware, notamment les accélérateurs et la mémoire avancée. Toute organisation planifiant une infrastructure pour 2026 aura intérêt à diversifier ses approvisionnements et à conclure des contrats à long terme incluant des clauses de protection contre les sanctions croisées ou les coupures de service.

Les clés pour comprendre cette montée en puissance

  • Ce n’est pas un mouvement isolé : cela s’inscrit dans le prolongement des nouveaux contrôles à l’exportation de Pékin et dans la multiplication régulière des listes américaines.
  • L’objectif est dissuasif : Pékin cherche à éluder les fuites qui alimentent les dossiers de sanctions et amendes à l’étranger.
  • Une démarche à double volet : cibler tant ceux qui exposent la chaîne d’approvisionnement des puces que ceux qui fournissent des capacités militaires à des adversaires.
  • La transparence technique se réduit : moins d’informations accessibles sur le silicium chinois et davantage d’opacité dans la circulation des matériaux et composants.

Questions fréquemment posées (FAQ)

Qu’est-ce que la liste chinoise des “entités non fiables” et quelles en sont les conséquences ?
Il s’agit d’un régime de sanctions du MOFCOM pouvant interdire les transactions, investissements et transfert de données entre entités chinoises et compagnies listées. En cas extrême, cela implique un veto total des opérations avec la Chine et des blocages d’informations et de services.

Pourquoi TechInsights est-elle concernée ?
Pékin relie son inclusion à la divulgation selon laquelle les puces Ascend de Huawei intégreraient des technologies et composants de TSMC et d’autres fournisseurs, en contexte de sanctions. La Chine considère que cette ingénierie inverse et ces publications nuisent à sa sécurité et à son développement stratégique.

Quelles autres sociétés ont été signalées ?
Outre TechInsights, figurent des acteurs du secteur aérospatial et de défense : Dedrone par Axon, Epirus, Elbit Systems of America ou BAE Systems, Inc.. La tendance indique une attention particulière aux technologies anti-drones, capteurs et capacités duales.

Comment cela influence-t-il la disponibilité du matériel IA ?
La situation génère une incertitude accrue. Elle pourrait ralentir la circulation des informations techniques, durcir les contrôles de conformité et complexifier les chaînes logistiques. À moyen terme, on peut anticiper des délais étendus, des coûts en hausse et une diversification accélérée des fournisseurs.


Sources consultées

  • Communiqués et reportages relatifs à l’extension de la liste chinoise des “entités non fiables” et l’inclusion de TechInsights ainsi que d’autres acteurs du secteur défense.
  • Analyses de marché et articles techniques sur la (Huawei Ascend 910B/910C), la traçabilité, l’implication de TSMC et le rôle de Sophgo comme intermédiaire ; ainsi que le risque d’amendes pour TSMC aux USA.

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