CXMT accélère : ainsi, elle réduit l’écart avec Samsung, SK Hynix et Micron dans la mémoire DDR5 et HBM

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À la fin de 2025, la guerre des puces de mémoire se joue également à Hefei. Là, la société chinoise ChangXin Memory Technologies (CXMT), pratiquement inconnue il y a encore quelques années en dehors du pays, s’est consolidée comme le principal fabricant de DRAM en Chine et devient l’un des acteurs qui recollent le plus rapidement au trio dominant du secteur : Samsung, SK Hynix et Micron.

Sa dernière avancée technologique s’incarne dans des puces DDR5 de 16 Gb fabriquées avec une cellule effective de 16 nm, un niveau que les autorités américaines ont tenté de définir comme une « ligne rouge » à l’aide de sanctions et de contrôles à l’exportation.


D’acteur local à concurrent mondial gênant

CXMT a lancé la production de masse de DRAM en 2020. En seulement cinq ans, elle est passée d’un fournisseur de niche orienté surtout vers le marché chinois à un acteur contrôlant environ 5 % du marché mondial de la DRAM en 2024, avec une capacité mondiale d’environ 6 % au début 2025, grâce à une expansion rapide de ses usines et à un soutien étatique massif.

Sa capacité installée est aujourd’hui estimée à environ 10-13 % de la production mondiale de DRAM, ce qui en fait un acteur capable d’influencer les prix, notamment dans les gammes de début et la mémoire « legacy », malgré un retard technologique par rapport à ses rivaux de pointe.

Samsung, SK Hynix et Micron contrôlent toujours la majorité du marché, notamment pour les produits à haute valeur ajoutée comme la mémoire pour serveurs et la HBM (High Bandwidth Memory), cruciale pour l’intelligence artificielle. Cependant, CXMT ne s’impose plus comme un challenger lointain, mais comme un concurrent préoccupant pour Séoul et Boise.


L’exploit DDR5 de 16 nm : franchir la ligne tracée par Washington

Un des jalons clés de 2025 a été l’analyse indépendante des nouveaux chips DDR5 de CXMT. Un démontage réalisé par TechInsights a révélé une cellule mémoire avec une dimension effective de 16 nm, une densité de 0,239 Gb/mm² pour des chips de 16 Gb, et une conception de cellule 4F² comparable, quoique encore inférieure, à celle des leaders du secteur.

Mais pourquoi ce chiffre est-il si important ? Parce que les contrôles à l’exportation américains définissaient comme « avancés » les processus DRAM inférieurs à 18 nm, cherchant ainsi à maintenir la Chine au bord de cette frontière. Les restrictions concernant les équipements de lithographie et les procédés pour des nœuds plus fins visaient à empêcher des entreprises comme CXMT de franchir le cap vers des générations compétitives de DDR5 et HBM.

Le fait qu’une entreprise de Hefei présente des puces DDR5 avec une cellule efficace de 16 nm indique que, malgré les sanctions, la Chine a trouvé des voies pour avancer : réutilisation intelligente de matériel, processus multi-pattern, et un effort intensif de R&D domestique. Elle n’est pas encore au niveau des nœuds les plus avancés de Samsung ou SK Hynix, mais l’écart s’est réduit à environ 3 ans, contre 5 à 7 ans il y a seulement quelques années.


Performances, DDR5-8000 et LPDDR5X : de la théorie aux modules réels

La grande incertitude concernait la capacité de CXMT à transformer cette avancée en puces exploitables et en production durable. À la mi-2025, certains secteurs évoquaient des rendements de seulement 50 % en DDR5, ce qui avait reporté la production de masse à la fin de l’année.

Ce frein semble être temporaire. Fin octobre, des rapports de TechPowerUp et d’autres médias spécialisés indiquaient des rendements supérieurs à 80 % pour les DDR5 de CXMT, approchant des chiffres commercialement viables et permettant d’accélérer la production en volume.

Par ailleurs, la société a présenté lors de salons techniques des modules DDR5 atteignant jusqu’à 8 000 MT/s, équipés de puces de 16 et 24 Gb, pour des modules « binaires » (16, 32, 64 GB) ainsi que des configurations non binaires de 24 ou 48 GB, très courantes sur les plateformes récentes.

Dans le domaine mobile, CXMT a aussi exhibé des puces LPDDR5X allant jusqu’à 10 667 MT/s, se positionnant comme une alternative locale pour les fabricants chinois de smartphones cherchant à réduire leur dépendance aux fournisseurs étrangers, notamment dans un contexte de sanctions et de tensions géopolitiques.

Il reste encore à voir combien cette entreprise pourra produire en volume pour ces variantes haut débit, mais le simple fait de présenter des prototypes et des premières séries commerciales montre qu’elle peut suivre le rythme de l’évolution du standard DDR5, avec un ou deux pas de retard par rapport aux leaders.


HBM et la course à l’intelligence artificielle

L’autre front stratégique est celui de la HBM, la mémoire à haut débit qui alimente GPU pour intelligence artificielle et supercalculateurs. CXMT a commencé la production de HBM2 et travaille sur la HBM3, avec un objectif de volume pour 2026, épaulé par une nouvelle usine de packaging avancé près de Shanghai, capable d’accueillir initialement 30 000 wafers par mois.

Des rapports récents indiquent que la société a déjà envoyé des échantillons clés de HBM3 à Huawei pour tests sur des accélérateurs IA, illustrant ainsi la stratégie : soutenir l’écosystème IA chinois avec une mémoire nationale et réduire la dépendance à la HBM importée, fortement impactée par les sanctions.

Les analystes estiment que, dans la HBM, CXMT a encore 3 à 4 ans de retard sur Samsung et SK Hynix, qui travaillent déjà sur la HBM3E et planifient la transition vers la HBM4. Mais la différence se réduit : la Chine n’est plus en dehors du jeu de la mémoire pour IA, mais en position de « suiveur rapide ».


Sanctions, listes noires et effet boomerang

Les progrès de CXMT s’effectuent malgré une série de mesures restrictives. Depuis 2022, le Département du Commerce américain a renforcé ses contrôles à l’exportation de matériels de fabrication de semi-conducteurs, et en mai 2025, a officiellement inscrit CXMT sur la « Entity List », ce qui oblige à obtenir des licences pour toute exportation de technologie américaine pertinente vers la société.

De plus, le Département de la Défense l’a incluse dans sa liste des « entreprises militaires chinoises », renforçant le signal politique et dissuadant d’éventuels partenaires occidentaux.

Paradoxalement, ces mesures ont accéléré la démarche chinoise d’autosuffisance : davantage d’investissements publics, une pression accrue pour développer des équipements domestiques, et une stratégie visant à satisfaire d’abord la demande intérieure, estimée aujourd’hui à plus de 22 milliards de dollars par an en chips de mémoire.

Le résultat est un marché de plus en plus fragmenté : l’Occident se protège contre le matériel chinois pour des applications sensibles, tandis que la Chine construit son propre écosystème de mémoire, avec CXMT comme pièce centrale.


Un géant en passe d’introduire ses actions en Bourse

La prochaine étape majeure pour CXMT se profile en 2026, si ses plans se concrétisent. Reuters rapporte que l’entreprise prépare une IPO à Shanghai, avec une valorisation estimée jusqu’à 42 milliards de dollars, visant à lever entre 20 et 40 milliards de yuans pour financer de nouvelles usines et des lignes avancées de HBM et DDR5.

Cette opération positionnerait CXMT comme l’un des grands poids lourds du marché chinois des semi-conducteurs et permettrait d’accroître davantage sa capacité. Cependant, elle renforcera également la pression : les investisseurs exigeront des marges et des retours durables dans un secteur caractérisé par des cycles de surcapacité et des chutes de prix fréquentes.


Quelle est réellement la réduction de l’écart avec Samsung, SK Hynix et Micron ?

En fin 2025, la situation est nuancée. CXMT a prouvé :

  • Ses puces DDR5 avec cellule efficace de 16 nm et densités compétitives.
  • Des modules DDR5-8000 et LPDDR5X-10667 en démonstration et en premières séries.
  • Une montée en rendement de DDR5 passant d’environ 50 % à plus de 80 % en quelques mois.
  • Des avancées concrètes en HBM2/HBM3 ainsi qu’un écosystème domestique prêt à expérimenter ces produits.

Cependant, il demeure en retard sur plusieurs aspects : absence d’utilisation de la lithographie EUV, recours à des processus plus complexes et coûteux pour atteindre des densités similaires, et une maturité moindre dans les produits haut de gamme pour centres de données et IA. Samsung, SK Hynix et Micron pensent déjà à HBM4 et DDR5-8800 comme ses prochaines étapes.

Selon diverses analyses techniques, l’écart en termes de nœud technologique et de densité s’est réduit à environ 3 ans, contre des écarts beaucoup plus importants auparavant. Si CXMT maintient son rythme et parvient à éviter les goulets d’étranglement liés aux sanctions sur l’équipement et les matériaux, il pourrait atteindre une part de marché à deux chiffres dans la DRAM d’ici la seconde moitié de la décennie, affectant directement les prix mondiaux et l’équilibre des pouvoirs technologiques à l’ère de l’IA.


Questions fréquentes sur CXMT et son rôle sur le marché de la mémoire

Que signifie que CXMT fabrique de la mémoire DDR5 avec une technologie de 16 nm ?
Cela implique que la cellule mémoire DRAM de CXMT atteint une dimension effective d’environ 16 nm, avec une densité en bits par millimètre carré proche de celle des principaux concurrents. Cela permet la fabrication de puces DDR5 de 16 Gb avec une taille de matrice compétitive, facilitant la création de modules à plus grande capacité dans le même espace. Même si la société indique officiellement un nœud de 18,5 nm pour respecter la lettre des sanctions, l’analyse indépendante montre qu’elle a en réalité franchi le seuil de 18 nm, comme Washington cherchait à limiter.

En quoi la mémoire DDR5 de CXMT diffère-t-elle de celle de Samsung, SK Hynix ou Micron ?
Les modules DDR5 de CXMT atteignent déjà des vitesses jusqu’à 8 000 MT/s avec des capacités de 16 et 24 Gb par puce, semblables à celles de ses concurrents. Cependant, les leaders du secteur ont plus de temps pour optimiser la consommation, les latences et la fiabilité en masse, et sont en avance pour les débits extrêmes (comme DDR5-8800) ainsi que pour les produits pour serveurs et centres de données. CXMT se concentre principalement sur la demande locale chinoise et les segments grand public ou milieu de gamme, tout en accumulant de l’expérience dans le haut de gamme.

Comment les sanctions américaines affectent-elles CXMT et le marché global de la mémoire ?
Les sanctions limitent l’accès de CXMT à des équipements et logiciels de fabrication de dernière génération, notamment pour les nœuds inférieurs à 18 nm et la HBM avancée. Cela complique l’accélération de leur feuille de route et peut augmenter le coût de leurs procédés. Par ailleurs, ces restrictions incitent la Chine à investir davantage dans ses capacités nationales et équipements locaux, ce qui pourrait à moyen terme conduire à une surcapacité de mémoire DRAM chinoise, avec une pression à la baisse sur les prix et une fragmentation accrue des chaînes d’approvisionnement.

Quel impact CXMT pourrait-elle avoir sur la course à l’IA et les centres de données ?
Si CXMT parvient à produire en volume la HBM3 dès 2026 et offre une DDR5 compétitive en prix et performances, le écosystème IA chinois bénéficiera d’une source locale pour la mémoire essentielle aux GPUs et autres accélérateurs. Cela renforcera la stratégie d’autosuffisance technologique de Pékin. Pour l’Europe et d’autres régions respectant les sanctions, CXMT ne sera pas un fournisseur direct à court terme, mais pourra influencer le marché indirectement : une offre plus importante de DRAM pourrait entraîner des prix plus bas, tout en introduisant davantage d’incertitude et de volatilité dans le secteur.


Sources :
SCMP / Yahoo Finance ; TechInsights ; Reuters ; Tom’s Hardware ; Silicon.co.uk ; TechPowerUp ; Wccftech ; Digitimes ; analyses compilées de ChangXin Memory Technologies (grokipedia) et documents publics de la BIS et du DoD américains.

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