Zegona monétise les IPv4 de Vodafone Espagne pendant que le marché exerce des pressions… et que l’IPv6 commence — enfin — à décoller

Zegona monétise les IPv4 de Vodafone Espagne pendant que le marché exerce des pressions… et que l’IPv6 commence — enfin — à décoller

En plein contexte de pénurie d’adresses IPv4, Zegona — propriété de Vodafone Espagne — a trouvé une voie rapide pour générer de la liquidité : céder une partie des blocs historiques hérités, principalement ceux issus de ONO et Airtel. Depuis juillet, 32 opérations ont été conclues, représentant un total de 282 800 adresses IPv4, avec des acheteurs allant de fournisseurs de cloud américains à des opérateurs régionaux en Espagne. Parallèlement, le passage à IPv6 commence à prendre de l’ampleur : sa croissance est notable dans les réseaux mobiles, les hyperscalers le standardisent, et les outils de transition se sophistiquent. Deux tendances contrastées cohabitent en 2025 : à court terme, la pénurie d’IPv4 maintient ses prix élevés ; à moyen terme, la migration vers IPv6 s’accélère pour un déploiement global.

L’or du marché : 282 800 IPv4 vendues à un prix en hausse

Ce mouvement n’est pas isolé, mais s’inscrit dans un flux continu :

  • 4 juillet : première grosse vente de 131 072 adresses du bloc 217.216.0.0/15 à TerraTransit AG (Allemagne).
  • Fin août et septembre : cessions de blocs moyens et petits (/20, /21, /22) à des sociétés comme cleardocks LLC, Keminet SHPK, Vento Rede S.L., ATUAXANELA S.L., Soluciones Corporativas IP, SL, INDE PTE LTD (Singapour) et O.M.C. Computers & Communications LTD (Israël).
  • 25 septembre : transfert du 80.174.0.0/16 (65 536 adresses) à European ION Investment Group SL (Espagne).
  • 8 et 14 octobre : nombreuses cessions à steel-axis LLC, truview LLC, DSLmobil GmbH et FIBERGREEN Tecnológicas S.L.

Au total, plus de 282 800 adresses ont changé de main. Avec une moyenne estimée à environ 30 dollars par IP, cela représente un revenu d’environ 7,2 millions d’euros. Ce phénomène n’est pas unique : en juillet dernier, une vente de 65 536 adresses par la Cambra de Barcelona à Amazon a généré plus de 2 millions d’euros. En Espagne, où seulement 10,85 % du trafic Internet passe par IPv6, la rareté des IPv4 maintient des prix élevés et stimule un marché secondaire très actif.

Vodafone peut-elle se passer d’adresses publiques ?

Pas complètement. Vodafone Espagne dispose d’un stock d’environ 6 millions d’IPv4 publics, répartis entre ses anciens LIR (registre d’adresses IP) d’Airtel (3 144 704) et d’ONO (2 841 088). Cette marge de manœuvre permet de céder des adresses sans perturber le quotidien, surtout si l’on généralise le CG-NAT (partage d’une même IP par plusieurs clients) dans les segments à faible coût, tout en réservant des adresses dédiées pour l’entreprise, les infrastructures backbone et les services critiques. La clé réside dans le choix des blocs à vendre : les plages contiguës de grande taille (/16, /15) sont plus recherchées, mais plus complexes à gérer en interne ; les ventes combinant grands blocs et sous-réseaux moyens montrent une gestion fine de l’inventaire.

L’envers du décor : le CG-NAT comme coût caché

Les opérateurs disposant de moins d’IP ou cherchant à réduire leurs coûts optent souvent pour le CG-NAT. Ses avantages : il permet d’économiser des IPv4 et de simplifier la gestion opérationnelle. En revanche, il complique les connexions entrantes, la mise en place de serveurs domestiques, les jeux en ligne avec NAT strict, les applications P2P, la surveillance vidéo et la domotique accessible à distance. Beaucoup de clients ne s’en aperçoivent pas, mais certains découvrent les limites lorsqu’ils doivent ouvrir des ports ou lorsqu’on leur propose une IP publique en option. La stratégie de Zegona indique que le CG-NAT continuera à se développer dans le résidentiel, valorisant davantage l’IP publique comme un service premium.

L’Espagne, à la traîne sur IPv6… mais avec des signes de reprise

Que seulement 10,85 % du trafic domestique soit en IPv6 est une anomalie européenne. Plusieurs causes : opérateurs historiques avec d’importantes réserves IPv4, déploiements mobiles avancés mais fibre encore peu répandue, applications anciennes non compatibles nativement, et une perception de “benefit invisible” pour l’utilisateur. Cependant, le décollage se profile :

  • Mobile : les réseaux 4G/5G intègrent en grande partie IPv6 ; terminaux et stacks (Android/iOS) ont fait leur transition.
  • Cloud : les grandes plateformes supportent nativement IPv6 pour leurs services et favorisent la configuration de VPCs et de load balancers en mode dual-stack.
  • Transition : les solutions comme NAT64 / DNS64, 464XLAT, MAP-T et DS-Lite sont opérationnelles ; les équipements CPE modernes sont compatibles.
  • Outils : la surveillance et les stacks d’applications intègrent déjà le dual-stack par défaut.

Dans l’idéal, tant que la double pile (IPv4 + IPv6) sera maintenue, l’expérience utilisateur restera stable. La véritable impulsion viendra lorsque les nouveaux services seront conçus en IPv6-first, utilisant IPv4 uniquement comme solution de compatibilité, et non comme parachute.

Pourquoi la valeur des IPv4 reste-t-elle si élevée ?

  • Offre limitée, demande persistante : le pool d’IPv4 s’est tari chez les RIR (Regional Internet Registries) ; chaque transaction correspond à une transfert entre titulaires, plus à une génération d’adresses neuves.
  • Réputation de l’adresse : les blocs « propres » (sans historique de spam ou d’abus) ont plus de valeur ; certains segments « brûlés » subissent une décote.
  • Géolocalisation : certains paient une prime pour obtenir des IP françaises afin de respecter des critères de contenu, publicité ou conformité réglementaire.
  • Taille : un /16 est plus simple à gérer et annoncer qu’un petit bloc ; ces derniers s’adaptent mieux aux réseaux modérés.
  • Volatilité du marché : le prix par IP fluctue en fonction de la conjoncture macroéconomique, des fusions dans le secteur, et de la progression ou stagnation de l’adoption d’IPv6 en région.

Que doivent faire les entreprises (et les gouvernements) en 2025 ?

1) Opter pour le dual-stack dans les réseaux publics. Inclure IPv6 dès le lancement de tout nouveau service, et continuer avec IPv4 tant qu’indispensable. En réseau interne, exploiter IPv6 pour la segmentation et l’observabilité sans réduire l’utilisation de l’IPv4.

2) Repenser la dépendance à l’IPv4 publique. Beaucoup de cas d’usage peuvent être remplacés par proxy inversé, Anycast, SNI, load balancers ou tunnels, limitant ainsi la consommation d’IPv4 sans perdre en contrôle.

3) Si vous avez besoin de nombreuses IPv4, privilégiez une gestion professionnelle de l’achat. Vérifiez l’historique d’abus, demandez des documents de transfert, et prévoyez une période de nettoyage de réputation. Évitez les achats opaques.

4) Former les équipes de développement et DevOps. S’assurer que les applications et pipelines supportent IPv6 (parsers, journaux, ACL, WAF, expressions régulières) pour ne pas être bloqués par des adresses longues ou non supportées. De nombreux incidents proviennent d’un code conçu pour IPv4 “pour toujours”.

5) Vérifier et mettre à jour les équipements CPE et le peering. Les gateways, pare-feux, load balancers et routeurs doivent gérer NAT64, DHCPv6-PD, SLAAC, RA, ainsi que des outils de diagnostic adaptés (pings et traceroutes classiques ne suffisent plus).

Pour l’utilisateur avancé : comment cohabiter avec le CG-NAT en attendant IPv6

  • Demandez une IP publique si vous avez besoin de ports entrants (jeux, caméras, domotique).
  • Pensez à utiliser des tunnels (WireGuard, IPv6-over-IPv4 ou inversement) vers un VPS doté d’une IP publique, surtout si votre opérateur ne propose pas d’alternative.
  • Vérifiez si votre ligne supporte déjà IPv6 : nombreux routers l’activent sans que vous le sachiez ; activer SLAAC ou DHCPv6-PD peut prendre quelques minutes.
  • Si votre opérateur mobile fonctionne en mode IPv6-only avec 464XLAT, tout “semble fonctionner simplement” : utilisez cette configuration pour encourager la migration IPv6 dans votre home-lab.

Le marché peut-il continuer à vendre IPv4 tout en retardant IPv6 ?

À court terme, oui : cela libère des ressources et ne cause aucune perturbation si c’est bien géré. À moyen terme, le vrai risque est de perdre l’avantage concurrentiel lorsque les clients exigeront IPv6 pour de meilleures performances, conformité ou intégration avec des tiers. La stratégie recommandée est de valoriser l’excédent d’IPv4 sans freiner la montée en puissance d’IPv6, car l’opérationnel, avec moins de NAT et de complexité, compense cette dépendance à court terme.

En résumé : deux vitesses vers une même évolution

La situation en Espagne est caractérisée par deux dynamiques : d’un côté, un marché secondaire d’IPv4 à son apogée, bénéficiant à ceux qui possèdent des réserves comme Vodafone Espagne. De l’autre, la montée en puissance de l’IPv6 dans les secteurs où la rotation technologique est plus rapide (mobilité, cloud, déploiements innovants). L’horizon 2026 devrait voir un pays en dual-stack stable, avec moins de CG-NAT là où cela dérange, et davantage de services IPv6-first. En attendant, il faut s’attendre à voir encore des actualités comme celle de Zegona… et à répondre à des questions clients découvrant que derrière un problème de ports, se profile la réalité de la pénurie.


Questions fréquentes

Comment le CG-NAT impacte-t-il un gamer ou une domotique à la maison ?
Le CG-NAT nuit aux connexions entrantes et peut imposer un NAT strict pour les jeux, poser problème avec un serveur maison, le P2P ou des caméras accessibles de l’extérieur. Demandez une IP publique à votre opérateur ou utilisez un tunnel vers un VPS avec IP publique. Si votre réseau supporte IPv6, mieux vaut configurer un firewall approprié pour exposer vos services plus proprement.

Comment savoir si ma connexion supporte déjà IPv6 et comment l’activer ?
Souvent, il suffit d’activer SLAAC ou DHCPv6-PD dans votre routing. Vérifiez dans l’interface WAN et à l’état IPv6 : si un préfixe /56 ou /64 apparaît, et que vos appareils reçoivent des adresses 2000::/3, c’est que vous naviguez en IPv6.

Pourquoi les IPv4 restent-elles si chères malgré IPv6 ?
Car les millions de services et réseaux qui dépendent encore d’IPv4 ne génèrent plus d’adresses neuves. La seule solution consiste à transférer celles en circulation, ce qui maintient la demande. Tant que l’adoption d’IPv6 ne sera pas généralisée dans la connectivité fixe, le marché de l’IPv4 restera tendu et coûteux.

Je suis une startup et j’ai besoin de plusieurs IP publiques : dois-je acheter, louer ou miser sur le dual-stack ?
Pour une utilisation temporaire, la location peut être pertinente. En production stable, privilégiez le dual-stack (IPv6 en priorité) et optimisez l’utilisation d’IPv4 via proxy inversé et load balancers. Si vous achetez, soyez exigeant : vérifiez l’historique, la documentation de transfert, et prenez le temps de nettoyer la réputation du bloc avant mise en service.

Source : IPv4 Zegona Vodafone

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