Le mouvement dont on spéculait dans le secteur menace de réécrire l’histoire des télécommunications en Espagne. Selon une publication de El Confidencial, Telefónica envisage de lancer une offre publique d’acquisition hostile (OPA) sur Vodafone Espagne. Cette opération bénéficierait déjà du soutien de ses principaux actionnaires —SEPI, CriteriaCaixa et le groupe saoudien STC— ainsi que de discussions discrètes avec des représentants du Gouvernement.
En cas de confirmation, le marché espagnol passerait de « quatre grands acteurs (Telefónica, Vodafone, MasOrange et Digi) » à une configuration quasi en trinôme, avec une domination écrasante de Telefónica et MasOrange, laissant Digi comme le seul « outsider » avec des ambitions de rivaliser grâce aux fréquences héreditês de MásMóvil.
Une opération qui évoque un déjà-vu
Le scénario rappelle inévitablement les temps où Telefónica exerçait un monopole de facto sur le secteur des télécommunications en Espagne. Bien que la libéralisation des années 90 ait ouvert le marché, la potentielle absorption de Vodafone ramènerait l’entreprise à une position dominante, certains qualifiant cette situation de « monopole déguisé ».
Le PDG de Telefónica, Marc Murtra, justifie cette démarche par une stratégie de consolidation européenne et d’efficacité industrielle. Cependant, la question demeure : cette consolidation sera-t-elle bénéfique pour le client final ou se traduira-t-elle par moins de concurrence, moins d’innovation et des prix plus élevés ?
Le paysage actuel et celui après la possible fusion
Opérateur actuel | Part de marché approximative en Espagne | Situation après absorption de Vodafone par Telefónica |
---|---|---|
Telefónica (Movistar) | 29-30 % mobile, >35 % fibre | Plus de 45 % dans plusieurs segments clés |
Vodafone Espagne | environ 20 % mobile, 18 % fibre | Absorbé par Telefónica |
MasOrange (Orange + MásMóvil) | 28-30 % mobile et fibre | Conserverait son statut de deuxième acteur majeur |
Digi | environ 10 % mobile, croissance en fibre | Unique opérateur indépendant significatif, mais encore éloigné en réseau propre |
Dans ce contexte, la concentration de pouvoir se retrouverait aux mains de deux géants (Telefónica et MasOrange), Digi étant contraint d’accélérer le déploiement de son réseau pour ne pas devenir un simple acteur de niche.
Risques réglementaires et sociaux
Cette opération nécessiterait l’approbation non seulement en Espagne mais aussi à Bruxelles. La grande inconnue reste : la Commission européenne acceptera-t-elle une consolidation qui réduit les acteurs principaux de quatre à trois ?
Dans d’autres pays européens, la CE a imposé des conditions strictes, obligeant à céder des fréquences ou des infrastructures pour préserver la concurrence. En Espagne, le dilemme est d’autant plus complexe : Telefónica n’est pas une opérateur ordinaire, mais l’héritière du monopole d’État avec une participation publique en son capital.
Un recul pour la concurrence
La narration officielle évoque la création de « champions européens » capables de rivaliser avec Deutsche Telekom, BT ou les géants américains. Cependant, certains critiques avancent que cette opération est principalement une manœuvre défensive : préserver ses parts de marché en Espagne pour compenser le démantèlement en Amérique latine, où Telefónica a cédé plusieurs filiales en Colombie, Équateur, Pérou, Argentine, Chili et México, ne conservant que le Brésil comme forteresse.
Le problème réside dans le fait que cette stratégie pourrait nuire au consommateur. Moins d’opérateurs impliquent moins d’offres convergentes, moins de promotions agressives, et en définitive, un marché moins dynamique.
Questions en suspens
- Bruxelles et la CNMC accepteront-elles une opération réduisant la concurrence à trois grands acteurs ?
- Que deviendront les employés de Vodafone Espagne en cas de fusion ?
- La histoire de Telefónica en tant que « monopole déguisé » se répétera-t-elle ?
- Digi pourra-t-elle, grâce à ses déploiements en propre, jouer le rôle de contrepoids indispensable ?
En définitive, si l’OPA sur Vodafone Espagne se concrétise, ce ne sera pas seulement une opération commerciale, mais un véritable séisme dans l’histoire récente des télécommunications. Telefónica cherche à redevenir « la Telefónica de toujours », mais le prix à payer pourrait être élevé pour le marché et, surtout, pour les utilisateurs.
source : elconfidencial et Teléfonos