Qualcomm a annoncé l’acquisition de Ventana Micro Systems, un mouvement qui, bien qu’il ne change pas immédiatement l’expérience du utilisateur final, en dit long sur la direction que souhaite prendre l’entreprise : plus de contrôle sur ses CPUs, davantage d’indépendance technologique et une capacité accrue à concevoir des processeurs sur mesure dans un marché de plus en plus marqué par l’intelligence artificielle et l’efficacité énergétique.
Cette opération intègre à Qualcomm une équipe spécialisée dans le développement de l’architecture d’ensemble d’instructions (ISA) RISC-V, une norme ouverte qui gagne en popularité dans l’industrie depuis plusieurs années pour une raison simple : elle permet de créer des processeurs compatibles avec une base commune, sans dépendre d’un design « fermé » propriété d’un acteur unique. Dans un secteur où chaque watt compte — smartphones, ordinateurs portables, IoT, automobile, edge computing et de plus en plus, centres de données — cette flexibilité est devenue une ressource précieuse.
Qui est Ventana et pourquoi est-ce important ?
Ventana Micro Systems est une entreprise basée à Cupertino, fondée en 2018, connue pour ses processeurs haute performance basés sur RISC-V et pour promouvoir une stratégie de conception « modulaire » sous forme de chiplets, particulièrement destinée à des scénarios exigeants tels que le calcul en centre de données. De plus, l’entreprise est engagée dans l’écosystème RISC-V à un niveau institutionnel (participation à des organes de RISC-V International) et a levé des fonds auparavant pour développer des CPU RISC-V destinés aux datacenters.
Quant à Qualcomm, elle n’est pas novice dans la conception de « cerveaux » efficients : leader sur le marché mobile depuis des décennies, elle a récemment franchi une étape importante avec sa propre technologie Oryon, conçue pour rivaliser en performance et consommation d’énergie, y compris hors des smartphones (par exemple, dans les PC). Qualcomm présente cette acquisition comme un renforcement direct de ses capacités en ingénierie de CPU : Ventana viendra compléter ses travaux sur RISC-V et son développement d’Oryon, avec pour objectif d’accélérer son leadership « dans l’ère de l’intelligence artificielle ».
Une lecture stratégique : contrôle, coûts et dépendances
Derrière ces mouvements se cache une réalité préoccupante pour tout fabricant : trop dépendre d’une seule architecture ou d’un seul fournisseur de licences limite la latitude d’action. Qualcomm le sait bien. Son achat de Nuvia en 2021 — clé pour sa montée en puissance sur les CPU hautes performances — était notamment motivé par le désir de réduire ses paiements et sa dépendance technologique. Reuters a rapporté que dans un contexte judiciaire, il avait été évoqué que Qualcomm considérait l’accord avec Nuvia comme une opportunité d’économiser potentiellement énormément sur les coûts liés à Arm à mesure qu’elle pénétrait de nouveaux marchés.
Sans entrer dans des batailles juridiques, le message principal est clair : en contrôlant davantage de parties de la conception de votre CPU, vous gérez mieux votre feuille de route, vos optimisations et, dans une certaine mesure, vos coûts. Dans un contexte où les cycles produits se raccourcissent et où la compétition se joue sur des détails — performance soutenue, NPU, efficacité, sécurité, IA embarquée — posséder « l’équipe et la propriété intellectuelle » en interne constitue un avantage stratégique.
Quel rôle pour RISC-V ici ?
RISC-V n’est pas automatiquement « la nouvelle Arm » ou « le nouveau x86 », mais il s’est confirmé comme une alternative crédible dans plusieurs segments : microcontrôleurs, dispositifs embarqués, électronique industrielle, et désormais dans des propositions plus ambitieuses pour le calcul général. Son attrait réside dans son statut d’« open standard » : les fabricants peuvent implémenter l’ISA, la faire évoluer selon leurs besoins spécifiques, tout en restant compatibles avec un écosystème en pleine expansion d’outils et de logiciels.
Pour Qualcomm, cela ouvre deux axes prometteurs :
- Produits où coût et consommation sont primordiaux (IoT, edge, automobile) : RISC-V peut constituer une base flexible pour concevoir des solutions très optimisées.
- Scénarios de haute performance (domain où Ventana a une expérience historique) : ici, la promesse est plus complexe, mais l’idée d’une « CPU personnalisable » devient particulièrement attractive pour optimiser des charges spécifiques, notamment en matière d’intelligence artificielle.
Et qu’en est-il pour les développeurs et utilisateurs « ordinaires » ?
À court terme, l’impact sera probablement imperceptible : il ne s’agira pas d’une mise à jour qui transformerait votre smartphone en RISC-V. Cependant, des effets progressifs pourraient apparaître :
- Plus de diversité matérielle dans les années à venir, avec une pression concurrentielle accrue pour améliorer le rapport performance par watt.
- Plus d’expérimentations dans les produits et formats : lorsqu’une grande entreprise mise sur une architecture ouverte, l’intérêt pour les outils, SDK et supports s’accroît rapidement.
- Un focus accru sur l’exécution locale de l’intelligence artificielle : la valeur n’est pas uniquement dans « avoir de l’IA », mais dans la faire rapidement, avec respect de la vie privée et une consommation maîtrisée (ce qui implique CPU, NPU et mémoire autant que le modèle lui-même).
En résumé, cette acquisition est moins une « nouvelle pour le grand public » qu’un mouvement stratégique dans l’industrie : Qualcomm n’achète pas une application ou une marque, mais du talent et du savoir-faire pour perfectionner le cœur de ses appareils à un moment où l’architecture logicielle est plus cruciale que jamais.
Questions fréquentes
Qu’est-ce que RISC-V et pourquoi en parle-t-on autant ?
C’est une architecture d’ensemble d’instructions (ISA) ouverte. Elle permet de concevoir des CPU compatibles avec une norme commune, sans dépendre d’un propriétaire unique, ce qui facilite la personnalisation et encourage un écosystème plus diversifié.
Est-ce que Qualcomm va abandonner Arm ?
Pas forcément. Il est courant que plusieurs architectures coexistent selon le produit. Cette opération indique une diversification et un renforcement interne, mais pas une transition immédiate hors des technologies existantes.
Ventana Micro Systems fabriquait-elle des puces pour le grand public ?
Son alignement historique est plutôt technique et industriel (haute performance, chiplets, datacenter / compute). La vente vise davantage des capacités d’ingénierie que des produits grand public directs.
Quand cela sera-t-il visible dans les produits concrets ?
Dans ce type d’acquisitions, l’impact se manifeste généralement à moyen terme : intégration des équipes, conception de nouvelles plateformes et cycles de validation prennent du temps.
Source : Qualcomm
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