Otus, le superordinateur « vert » qui veut redéfinir le HPC en Allemagne

Otus, le superordinateur « vert » qui veut redéfinir le HPC en Allemagne

L’Université de Paderborn s’impose désormais parmi les leaders mondiaux du high performance computing (HPC) avec sa nouvelle superordinateur, « Otus ». Son excellence ne se mesure pas uniquement en puissance brute, mais surtout par son efficacité énergétique : le système vient de se classer en cinquième position du classement international Green500, qui recense les supercalculateurs les plus performants en termes de consommation électrique.

Son nom – évoquant une petite espèce d’oiseaux rapaces nocturnes – témoigne d’une machine conçue pour une mission précise : fournir à la communauté scientifique allemande une ressource de calcul massive, capable de relever les grands défis de cette décennie (climat, matériaux, IA, énergie…) tout en maîtrisant la facture énergétique et l’empreinte carbone.


Une bête de 142 656 cœurs et 108 GPU

Otus fait partie de l’infrastructure du Paderborn Center for Parallel Computing (PC2), le centre de calcul parallèle de l’université. D’après les données officielles de l’établissement, le système intègre :

  • 142 656 cœurs de processeur, basés sur des CPU AMD de dernière génération « Turin ».
  • 108 GPU haute performance, dédiés aux charges de travail en intelligence artificielle et simulations massivement parallèles.
  • Un système de stockage IBM Spectrum Scale d’une capacité de 5 pétaoctets, prêt à gérer des flux de données scientifiques gigantesques.

Ce supercalculateur a été développé par Lenovo en collaboration avec pro-com Datensysteme GmbH, combinant l’expertise du constructeur en HPC avec les besoins spécifiques du PC2. Selon l’université, cette plateforme doublerait la puissance de calcul de l’ancien système « Noctua 2 », propulsant le PC2 dans une nouvelle ligue au sein de l’écosystème des superordinateurs universitaires allemands.


Efficacité énergétique comme critère principal, pas un simple atout

Ce qui distingue Otus, ce n’est pas seulement sa puissance, mais surtout la façon dont elle est délivrée. Le système a été conçu dès le départ avec l’efficacité énergétique comme principe fondamental :

  • Electricité 100 % renouvelable : toute l’énergie alimentant la superordinateur provient de sources renouvelables, ce qui rend son fonctionnement neutre en émissions directes de CO₂.
  • Refroidissement efficace : le système utilise un refroidissement indirect par « air libre » (indirect free cooling), exploitant les conditions ambiantes pour réduire la consommation de refroidissement mécanique.
  • Réutilisation de la chaleur résiduelle : la chaleur dégagée par les nœuds de calcul n’est pas gaspillée ; elle est redirigée pour chauffer des bâtiments universitaires, complétant ainsi le cycle énergétique du campus.

Ce mariage entre un design éco-efficient et une énergie propre a permis à Otus d’atteindre la cinquième place du Green500, un classement qui évalue les supercalculateurs non seulement selon leur performance mais aussi leur nombre d’opérations par watt consommé.

Dans un contexte où la supercalculabilité et l’IA font grimper la consommation électrique des datacenters, Otus prouve qu’une puissance maximale n’a pas besoin de rimer avec gaspillage énergétique.


Une ressource nationale pour la science, l’industrie et l’IA

Bien que physiquement installé à l’Université de Paderborn, Otus dépasse largement le cadre local. Il fait partie de la Nationales Hochleistungsrechnen (NHR), l’alliance allemande des centres de supercalcul dédié à mettre des ressources HPC à disposition des universités du pays.

Le processus d’accès repose sur un modèle classique de calcul académique :

  1. Les équipes de recherche soumettent des propositions de projets, justifiant leurs besoins en ressources HPC.
  2. Les demandes sont évaluées de manière indépendante, selon des critères scientifiques et techniques.
  3. Les projets retenus reçoivent du “temps de calcul” sur Otus, géré via des files d’attente automatisées pour optimiser l’utilisation du système.

Les applications couvrent un large spectre de la science moderne :

  • Simulations atomiques en physique et chimie.
  • Modèles climatiques et dynamique des fluides, essentiels pour étudier le changement climatique ou améliorer l’efficacité énergétique dans le transport.
  • Optimisation des routes maritimes et autres problématiques logistiques complexes.
  • Entraînement de modèles d’intelligence artificielle avancés, avec une attention particulière aux approches plus durables en IA.

Pour le président de l’université, Matthias Bauer, la supercalculabilité est devenue “essentielle pour relever les défis actuels”, qu’il s’agisse de recherche fondamentale ou d’applications à impact direct sur l’économie et la société.


Conception matérielle : un laboratoire vivant pour de nouvelles architectures

Un autre aspect clé d’Otus est qu’il ne se limite pas à un simple service de calcul, mais sert également de plateforme d’expérimentation pour de nouvelles idées en architecture de systèmes.

Il peut être étendu avec jusqu’à 100 FPGA (field-programmable gate arrays), des dispositifs reprogrammables permettant d’expérimenter avec des accélérateurs spécialisés, de nouvelles architectures réseau ou des workflows sur mesure pour certains projets scientifiques.

Ce positionnement fait d’Otus un environnement particulièrement attractif pour :

  • Les groupes de recherche en architecture des ordinateurs et systèmes parallèles.
  • Les développeurs de nouveaux algorithmes d’IA souhaitant explorer l’accélération dédiée sans se limiter aux GPU classiques.
  • Les projets collaboration université–industrie visant à prototyper des solutions pouvant évoluer vers du matériel commercial.

Plus qu’un “simple super serveur”, Otus devient ainsi un laboratoire vivant dédié à l’expérimentation, influençant potentiellement la conception des futurs centres de données.


Un projet de 14 millions d’euros avec une vision à long terme

L’acquisition d’Otus a été financée par l’alliance NHR, avec un investissement conjoint d’environ 14 millions d’euros, partagé équitablement entre le gouvernement fédéral allemand et l’État de Rhénanie-du-Nord-Westphalie.

Ce genre de projet est pensé sur le long terme :

  • La durée de vie d’un superordinateur de ce niveau est généralement de 5 à 7 ans, avant qu’il ne soit remplacé par une nouvelle génération.
  • Pendant cette période, l’objectif est à la fois d’exploiter au maximum les ressources de calcul et de former des talents dans la programmation parallèle, l’IA à grande échelle et la gestion des infrastructures HPC.
  • Les expériences accumulées favorisent le développement de la prochaine génération de systèmes, aussi bien à Paderborn qu’au sein du réseau NHR.

L’intégration d’Otus dans le top 10 des centres HPC universitaires en Allemagne contribue à faire de Paderborn un acteur incontournable du paysage national, renforçant la position du pays dans la supercalculabilité mêlant puissance, ouverture et durabilité.


Au-delà d’Otus : une tendance claire pour l’avenir du supercalcul

Le cas d’Otus illustre une tendance globale :

  • Les grands systèmes HPC deviennent des infrastructures critiques pour la science, l’industrie et, de plus en plus, pour l’intelligence artificielle générative.
  • Les enjeux énergétiques et la décarbonation poussent chaque nouvelle génération de supercalculateurs à être plus efficace sensiblement que la précédente.
  • La frontière entre HPC traditionnel et IA à grande échelle s’estompe : GPU, réseaux rapides et stockage massif servent autant à simuler des molécules qu’à entraîner des modèles de langage.

Dans ce contexte, Otus représente bien plus qu’un exploit local : c’est un exemple concret de comment déployer une puissance de calcul extrême en intégrant dans la conception la durabilité, tout en ouvrant la recherche à l’ensemble du pays.

Pour la communauté HPC et l’industrie technologique européenne, c’est aussi un signal fort : la course à la supercalculabilité efficace ne se limite pas à atteindre le prochain exaflop, mais à le faire avec des systèmes compatibles avec les enjeux énergétiques et climatiques du XXIe siècle.

Source : uni-paderborn

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