La identification précise des substances — depuis les gaz industriels jusqu’aux tissus humains — pourrait bientôt ne plus dépendre d’équipements volumineux et coûteux. Un projet européen, piloté par VTT, le centre de recherche technique de Finlande, développe une nouvelle génération de capteurs miniatures basés sur la photonique et les métalentes, avec l’ambition de transformer la mesure environnementale, industrielle et médicale.
Intitulé EPheS (Photonique efficace pour une imagerie et une détection durables), ce projet vise à concevoir des technologies compactes d’imagerie spectrale et de détection de gaz capables d’analyser les matériaux en temps réel en utilisant notamment la lumière infrarouge. La vision est claire : créer des dispositifs plus petits, plus durables et plus abordables, fabriqués à partir de matériaux accessibles et non toxiques.
Photonique au service d’une économie circulaire
EPheS concentre ses efforts sur des innovations basées sur la science de la lumière, la photonique, avec un accent particulier sur les technologies spectrales et infrarouges. Parmi ses principaux objectifs figure l’amélioration des méthodes de détection des gaz dangereux, la surveillance des processus industriels ou la vérification de la sécurité alimentaire et pharmaceutique, sans oublier les applications médicales telles que l’analyse tissulaire.
Selon Aapo Varpula, coordinateur du projet et responsable de l’équipe des systèmes médicaux miniaturisés chez VTT, les nouvelles technologies d’imagerie spectrale et de détection de gaz sont essentielles pour progresser vers une économie circulaire. Elles permettent de réduire l’empreinte carbone de plusieurs secteurs et, parallèlement, d’accroître la «empreinte carbone positive», c’est-à-dire l’impact environnemental bénéfique généré par ces technologies en optimisant les processus et en diminuant les déchets.
Ce projet, d’une durée de 3 ans et lancé début 2025, s’inscrit dans l’écosystème Chip Zero, initié par Applied Materials. Son budget total s’élève à 4,2 millions d’euros et réunit quatre entreprises et deux institutions de recherche : VTT, l’Université de Tampere, Vaisala, Gasera, Schott Primoceler et Applied Materials.
De grands systèmes à des capteurs miniaturisés
Traditionnellement, la détection précise des gaz ou l’imagerie hyperspectrale nécessitaient des équipements volumineux, coûteux et souvent spécialisés dans un seul type de composé. EPheS souhaite rompre avec cette logique en combinant de manière innovante plusieurs technologies :
- Metaoptique et métalentes
- Filtres spectrals ajustables basés sur la technologie MEMS (systèmes microélectromécaniques)
- Systèmes optiques intégrés pour l’infrarouge à très longue longueur d’onde (LWIR)
L’ambition est grande : associer métalentes et filtres infrarouges ajustables dans des systèmes compacts capables de réaliser une détection spectrale de gaz et une imagerie hyperspectrale avec une haute sensibilité.
Les métalentes sont des lentilles planes, nanostructurées, capables de remplacer les optiques traditionnelles. En manipulant la lumière via des structures à l’échelle nanométrique, elles permettent de concevoir des systèmes beaucoup plus simples, légers, efficaces en termes de ressources et à coût réduit. En Finlande, la photonique à métalentes est encore peu exploitée à l’échelle industrielle, ce qui ouvre un nouveau champ d’application dans l’infrarouge à très longue longueur d’onde.
Matériaux plus écologiques et capteurs plus intelligents
Un pilier d’EPheS est la soutenabilité des matériaux. Au lieu d’utiliser des composés infrarouges coûteux, rares ou potentiellement toxiques, le projet privilégie le silicium et d’autres matériaux abondants et non toxiques. Cela permet de réduire la dépendance aux matières premières critiques et facilite la montée en échelle des solutions.
Les nouveaux filtres LWIR ajustables, réalisés via la technologie MEMS, s’appuient sur des interféromètres de Fabry-Pérot miniaturisés. Concrètement, ils se composent de membranes optiques séparées par un petit interstice d’air. La juxtaposition de couches, dont une membrane en silicium ultrafine, leur confère une efficacité optimale dans la bande infrarouge à très longue longueur d’onde.
Par rapport aux solutions classiques — volumineuses, coûteuses et souvent limitées à un seul gaz — ces composants ajustables offrent la possibilité de :
- Détecter plusieurs gaz avec un seul dispositif
- Réduire la taille et le coût des équipements
- Créer des systèmes de détection de gaz plus polyvalents et adaptables
L’association de la lumière et du son : la photoacoustique en action
Les technologies photonique développées permettent d’analyser les gaz et matériaux en temps réel, avec une grande sensibilité et sans interférences dues à d’autres composés. Elles exploitent des méthodes telles que la spectroscopie infrarouge et la technique photoacoustique.
Dans la méthode photoacoustique, le gaz est introduit dans une chambre de mesure et éclairé avec de la lumière infrarouge. Lorsqu’il absorbe cette radiation à une longueur d’onde spécifique, il génère une onde acoustique. Ce signal n’apparaît que si le gaz présent correspond à la « signature » pour laquelle la longueur d’onde a été choisie. On peut ainsi entendre sa « empreinte sonore » unique, propre à chaque composé.
Les capteurs de gaz et les équipements en cours de développement utilisent des filtres LWIR microfabricés ajustables, permettant de faire varier la longueur d’onde de façon dynamique, pour identifier différents gaz sans disposer d’un dispositif dédié à chacun d’eux.
De l’industrie à la salle d’opération : un large éventail d’applications
Les technologies que développe EPheS ont un potentiel d’application très vaste :
- Surveillance environnementale et détection de gaz dangereux, essentielle pour la sécurité industrielle et la préservation du milieu.
- Projets d’énergie verte, où la mesure précise des émissions et des processus est cruciale.
- Sécurité alimentaire et pharmaceutique, avec des analyses rapides de matières premières et de produits finis.
- Diagnostic médical, notamment via l’analyse spectrale de tissus ou fluides biologiques.
En miniaturisant et en réduisant le coût de ces systèmes, le projet vise à rendre ces outils, aujourd’hui réservés aux grands laboratoires ou installations spécialisées, accessibles dans les lignes de production, les entrepôts, les hôpitaux ou même en dispositif portatif.
Constituer un cluster national de photonique avancée
EPheS constitue également une démarche stratégique pour renforcer un cluster national d’expertise en photonique au sein de l’écosystème Chip Zero. La Finlande souhaite se positionner sur des technologies clés telles que la métalente, les MEMS optiques, la déposition en couches atomiques (ALD) et les systèmes photoniques intégrés.
De son côté, Jesse Kalliomäki, scientifique senior chez Applied Materials, souligne l’importance de l’ALD pour obtenir des revêtements de très haute qualité et fiabilité pour des composants optiques avancés. Que ce soit pour des filtres multisp ectraux ou des couches résistantes pour MEMS, une précision nanométrique est cruciale pour assurer un fonctionnement stable de ces technologies en conditions réelles.
Quant à la professeure Humeyra Caglayan, de l’Université de Tampere, elle rappelle que l’objectif de son équipe académique est de développer des composants métalotiques capables de manipuler la lumière avec une précision nanométrique. Dans le cadre d’EPheS, ils travaillent à la conception de métalentes et de métasurfacess qui offrent des fonctions avancées d’imagerie et de détection dans des formats compacts et intégrés.
De la conception à la salle blanche : les prochaines étapes
Selon VTT, la collaboration entre partenaires progresse fortement. Le groupe en est à la phase de conception, et la fabrication des composants devrait débuter dans la salle blanche de VTT pour les wafers de 200 mm autour de la fin d’année. La prochaine étape sera de démontrer ces nouvelles technologies infrarouges dans des applications concrètes, telles que la détection de gaz ou l’imagerie hyperspectrale.
Si le calendrier est respecté, d’ici quelques années, il pourrait voir apparaître sur le marché des instruments beaucoup plus compacts, durables et abordables, capables d’identifier des substances par la lumière infrarouge et les métalentes, contribuant ainsi à une industrie plus efficiente et une médecine plus précise.
Questions fréquentes sur le projet EPheS et les métalentes
Qu’est-ce qu’une métalente et en quoi se distingue-t-elle d’une lentille traditionnelle ?
Une métalente est une lentille plane formée de nanostructures qui contrôlent la lumière à l’échelle nanométrique. Contrairement aux lentilles classiques, qui sont épaisses et courbées, la métalente peut être presque plate et beaucoup plus fine. Cela permet de concevoir des systèmes optiques plus légers, plus compacts et plus efficaces en matériaux, un atout majeur pour l’intégration dans de petits dispositifs.
Quelles applications concrètes auront les capteurs basés sur les métalentes et la photonique infrarouge ?
Les capteurs développés dans le cadre d’EPheS seront capables de détecter des gaz et d’analyser des matériaux en temps réel. Ils pourront servir pour la surveillance des émissions industrielles, la détection de gaz dangereux, le contrôle qualité en alimentation et pharmaceutique, ou le diagnostic médical, par exemple pour l’analyse de tissus. Leur format compact et leur capacité d’adaptation facilitent leur intégration dans des lignes de production, robots, dispositifs portables et équipements cliniques.
Pourquoi ces technologies sont-elles plus durables que les systèmes actuels de mesure ?
Le projet mise sur des matériaux abondants et non toxiques, comme le silicium, au lieu de composés infrarouges coûteux, rares ou potentiellement toxiques. La miniaturisation réduit également la quantité de matériau utilisé et, souvent, la consommation d’énergie des systèmes. En permettant des mesures plus précises et en temps réel, elles contribuent aussi à l’optimisation des processus industriels et à la réduction des déchets, favorisant ainsi une économie circulaire.
Qui participe au projet EPheS et quel rôle joue la Finlande ?
EPheS est dirigé par VTT, le centre de recherche technique finlandais, et comprend l’Université de Tampere ainsi que quatre entreprises : Applied Materials, Vaisala, Gasera et Schott Primoceler. La Finlande apporte son expertise en photonique, MEMS et fabrication avancée, avec des infrastructures telles que des salles blanches pour wafers de 200 mm, ses capacités en métalentique et en déposition de couches atomiques pour le développement de composants optiques de nouvelle génération.
Sources :
• Communiqué de VTT Info sur le projet EPheS (Photonique efficace pour une imagerie et une détection durables).
via : prnewswire