L’annonce selon laquelle Manus rejoint Meta semble, à première vue, s’inscrire dans le tumulte habituel de l’intelligence artificielle. Toutefois, avec du recul, elle révèle un schéma de plus en plus clair : les grands acteurs n’achètent pas “seulement” de la technologie, ils acquièrent des positions stratégiques. C’est-à-dire : talent, propriété intellectuelle, accès aux données, canaux de distribution et surtout, la capacité d’établir la norme de facto dans la prochaine couche logicielle.
Dans le cas de Manus, cette lecture est limpide : Meta renforce son engagement envers les agents à usage général (capables de réaliser des tâches complexes de bout en bout) et s’assure une équipe ainsi qu’une plateforme qui, selon les rapports, montraient déjà des signes significatifs de traction sur le marché.
Ce qui est intéressant, c’est que Manus n’est pas une exception : en 2025, une vague d’opérations s’est accélérée — certaines acquisitions “classiques”, d’autres structurées sous forme de licences + recrutements (acqui-hire) pour réduire la friction réglementaire — qui poursuivent le même objectif : contrôler des composants cruciaux de la pile IA, depuis le “cortex” (modèles et agents) jusqu’au “corps” (puces, inférence, infrastructure) et au “système immunitaire” (sécurité, observabilité, gouvernance des données).
Tableau : acquisitions et opérations récentes en IA (et domaines connexes) en 2025
Note : certaines opérations ne sont pas présentées comme des “acquisitions totales”, mais pratiquement comme des stratégies pour obtenir un avantage compétitif (PI, équipe, intégration).
| Date (2025) | Acheteur | Objectif | Type d’opération | Pourquoi c’est important ? |
|---|---|---|---|---|
| 29 déc | Meta | Manus | Acquisition / intégration | Renforce la course aux agents et à la couche d’exécution de tâches complexes. |
| 24 déc | NVIDIA | Groq (actifs + équipe clé) | Licence non exclusive + recrutements | Indication que la bataille principale porte désormais sur la capacité d’inférence (coût, latence, efficacité), avec des stratégies d’accès rapides sans acheter la société en entier. |
| 29 déc | SoftBank | DigitalBridge | Acquisition | Prise de contrôle de l’infrastructure physique (data centers, connectivité) liée à la croissance de l’IA ; clôture prévue au second semestre 2026. |
| 26 déc | Coforge | Encora | Acquisition (EV approximatif de 2,35 Md$) | Achat de capacités “natives IA” dans les services/ingénierie pour accélérer la dimension entreprise. |
| 12-13 juin | Meta | Scale AI (49% + recrutement de CEO) | Participation + talent | Exemple de “acqui-hire” moderne : investissement important, structure conçue pour éviter d’être perçue comme une acquisition totale ; concurrence accrue dans l’écosystème. |
| 23 avr | Datadog | Metaplane | Acquisition | Observabilité des données : les grands suites achètent des pièces pour offrir qualité, monitoring et gouvernance dans des pipelines critiques. |
| 20 mai | Alation | Numbers Station | Acquisition | Le catalogue de données fusionne avec des copilotes et automatisation ; la gouvernance des données devient un levier pour l’IA d’entreprise. |
| 3 sept | Cato Networks | Aim Security | Acquisition | La sécurité pour IA n’est plus un “extra” : elle devient une composante centrale (protection d’usage, identifaction des risques et fuite de données). |
Ce qui se cache derrière : pourquoi tant d’acquisitions maintenant ?
1) La distribution prime sur la démonstration.
De nombreuses startups IA disposent de technologies puissantes, mais celles qui réussissent sont celles qui ont le plus grand réseau de distribution (suite d’entreprise, cloud, écosystème de partenaires, millions d’utilisateurs). Acquérir une entreprise comme Manus revient, en partie, à s’offrir un accélérateur produit prêt à s’intégrer là où se trouvent déjà les utilisateurs.
2) La stratégie du “stack complet” refait surface.
En IA, maîtriser uniquement le modèle ne suffit pas : il faut aussi le donnée, l’inférence, la sécurité, l’observabilité, l’infrastructure et la conformité. Ainsi, on voit dans la liste des acquisitions des pièces très diverses : agents, puces, data centers, monitoring, catalogues de données, cybersécurité.
3) La réglementation favorise les stratégies créatives.
L’année passée a été marquée par de grandes acquisitions ; désormais, on observe une tendance hybride : licences + recrutement d’équipes entières + participations qui permettent d’en capturer la valeur tout en évitant (ou en minimisant) certaines contraintes réglementaires. Reuters en a parlé clairement dans ses analyses des opérations récentes.
4) Le nouveau “point de friction” est le coût de l’opération IA, pas seulement son entraînement.
L’inférence — déployer des modèles en production à grande échelle — est la phase où l’on réalise des profits… ou où l’on voit fondre le budget. La démarche de NVIDIA avec Groq donne une idée : l’efficacité et la latence des requêtes sont devenues des enjeux stratégiques.
Lecture pratique : ce que les entreprises et clients doivent surveiller
- Risque de “verrouillage” (lock-in) : lorsqu’une pièce clé devient intégrée dans une suite dominante, changer de fournisseur revient à plus de coût (et souvent plus de complexité).
- Concentration des talents : les meilleures équipes se regroupent chez peu d’acteurs ; la vitesse d’innovation peut augmenter… mais la dépendance aussi.
- Convergence produit-sécurité-conformité : l’IA en entreprise ne se vend plus sans couches de contrôle et de traçabilité (ce qui accroît les investissements dans la sécurité et la gouvernance des données).
Questions fréquentes
Pourquoi Meta achète-t-elle des entreprises comme Manus et ne développe pas tout en interne ?
Parce qu’un achat accélère : équipe, produit et “time-to-market”. De plus, l’intégration dans des plateformes à large distribution multiplie le retour sur investissement.
Quelle différence y a-t-il entre “achat” et “licence + recrutements” comme dans le cas NVIDIA–Groq ?
La seconde permet de capter la propriété intellectuelle et les talents sans absorber la société entière, ce qui peut réduire la friction réglementaire et opérationnelle.
Est-ce que cela rendra l’IA plus coûteuse pour les entreprises utilisatrices ?
À court terme, cela peut réduire les coûts grâce à l’intégration et à l’échelle, mais à moyen terme, la concentration pourrait limiter les options et renforcer les positions dominantes.
Quelle indication montre que le marché se “ferme” ?
Lorsque les fonctions clés (agents, sécurité IA, observabilité des données, infrastructure) deviennent des “modules internes” dans 4 ou 5 suites dominantes, le potentiel pour des fournisseurs indépendants diminue.
Source : Noticias intelligence artificielle