L’Europe regarde dans l’abîme du contrôle numérique : l’UE pourrait scanner tous les chats, y compris chiffrés, à partir d’octobre

L'Europe regarde dans l'abîme du contrôle numérique : l'UE pourrait scanner tous les chats, y compris chiffrés, à partir d'octobre

Le 14 octobre 2025 pourrait marquer un tournant dans l’histoire de la vie privée numérique en Europe. Les États membres de l’Union européenne doivent voter une proposition législative controversée connue sous le nom de « Contrôle des Chats » ou « CSAR » (Règlement contre l’abus sexuel en ligne). Si elle est adoptée, cette réglementation permettrait aux fournisseurs de messagerie de scanner automatiquement les messages privés des utilisateurs européens, même lorsqu’ils sont protégés par un chiffrement de bout en bout.

Initiée par le Danemark, qui a repris la présidence tournante du Conseil de l’UE le 1er juillet dernier, la nouvelle loi vise officiellement à lutter contre la diffusion de contenus abusifs sur Internet, notamment le matériel de pornographie infantile. Cependant, des organisations de défense des droits numériques, des experts en cybersécurité et des juristes dénoncent une menace sans précédent pour la vie privée, la liberté d’expression, la présomption d’innocence et le droit à l’intimité.

Ce qui pose problème, c’est le concept de « détection côté client » : au lieu d’intercepter les messages après leur envoi, ce sont les appareils des utilisateurs — smartphones, tablettes ou ordinateurs — qui analyseraient localement les contenus avant qu’ils ne soient chiffrés. Ainsi, chaque image, vidéo, lien ou message serait passé au peigne fin, même sur des applications fortement encryptées comme WhatsApp, Signal, Telegram ou iMessage. Selon les experts, cela reviendrait à installer une « porte dérobée » permanente dans les systèmes de communication.

Un député européen allemand, Patrick Breyer, du Parti Pirate, met en garde : « Cela affaiblit le chiffrement, ouvre la porte aux abus gouvernementaux et constitue un précédent mondial dangereux. » La question cruciale réside dans la position de l’Allemagne, qui n’a pas encore pris de décision claire. Son soutien ou son rejet pourrait faire basculer la législation lors du vote, prévu pour cette automne. En cas d’approbation, le règlement entrerait en vigueur rapidement, sinon il resterait bloqué, comme lors des années précédentes.

Les conséquences potentielles sont multiples : perte d’anonymat, augmentation des faux positifs — jusqu’à 80 % d’erreurs dans certains algorithmes —, effets dissuasifs sur la liberté d’expression, notamment sur des sujets sensibles, et un dangereux précédent pouvant légitimer des politiques semblables dans des régimes autoritaires.

La réaction de la société civile est vigoureuse. Plusieurs ONG telles qu’Access Now, la Electronic Frontier Foundation ou European Digital Rights (EDRi) insistent sur le fait que protéger les mineurs ne doit pas se faire au détriment d’une surveillance de masse. La société technologique ne reste pas silencieuse : Telegram, par exemple, a menacé de se retirer du marché européen si la législation est adoptée dans sa forme actuelle.

Des propositions plus modérées ont toutefois été avancées, notamment par la Belgique en 2024, qui suggérait de limiter le scan aux fichiers multimédia et uniquement avec le consentement explicite de l’utilisateur. Mais ces alternatives n’ont pas encore convaincu les décideurs.

Au-delà de cette législation, la stratégie « ProtectEU » évoquée par la Commission européenne vise à donner aux autorités le pouvoir de décrypter des données privées avant 2030. La tendance à restreindre l’accès via VPN ou à imposer une vérification d’identité soulève des inquiétudes quant à l’érosion progressive des droits fondamentaux, dans une Europe qui pourrait se rapprocher dangereusement d’un modèle de surveillance à l’image de celui de certains régimes autoritaires.

Au cœur du débat se pose la question ancestrale : jusqu’où sommes-nous prêts à céder notre vie privée au nom de la sécurité ? Alors que la date du 14 octobre approche, le futur de la privacy numérique en dépend, et la décision des gouvernements européens pourrait influencer toute une génération.

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