L’Espagne traverse une paradoxe numérique : alors qu’elle favorise la construction de dizaines de centres de données à travers le territoire, à l’aide de subventions publiques et d’un cadre propice à l’investissement, le gouvernement a décidé de mettre sous contrôle strict leur consommation énergétique et hydraulique. Le secteur, essentiel pour l’intelligence artificielle, le stockage en nuage et l’économie numérique, doit désormais faire face à une réglementation plus exigeante visant à limiter son impact environnemental.
Au cours des dernières années, l’Espagne a renforcé sa position comme l’une des destinations privilégiées pour l’installation de centres de données. La disponibilité d’énergies renouvelables, l’interconnexion internationale via la fibre optique, ainsi que sa position stratégique, ont attiré des géants technologiques tels qu’Amazon Web Services, Microsoft, Meta et Google. Dans le cadre du programme « Espagne Numérique 2025 », le gouvernement a investi des millions d’euros pour encourager la création de centres de données intelligents dans les administrations et les entreprises. Selon le ministère de la Transformation numérique, cette expansion pourrait tripler la capacité installée, passant d’environ 200 MW actuellement à près de 600 MW en seulement deux ans.
Cependant, cette croissance rapide soulève des inquiétudes environnementales : la consommation d’électricité et d’eau de ces installations — nécessaires pour la réfrigération des serveurs et leur fonctionnement — peut poser problème, surtout dans un pays confronté à des sécheresses récurrentes et à des pics de demande électrique.
À cet effet, le ministère pour la Transition écologique et le Défi démographique (MITECO) a lancé une consultation publique concernant un projet de décret qui obligera les centres de données disposant de plus de 500 kW de capacité contractée à fournir des rapports détaillés sur leur consommation annuelle d’électricité et d’eau, leur pourcentage d’énergie renouvelable, l’impact environnemental de leurs réfrigérants, leur efficacité énergétique (PUE), ainsi que leurs stratégies de réutilisation de la chaleur résiduelle. Cette réglementation, alignée avec la Directive (UE) 2023/1791 et le Règlement délégué 2024/1364, exigera que les plus grands centres (plus de 100 MW) figurent parmi les 15 % les plus efficaces d’Europe. Par ailleurs, ces données seront intégrées à une base centralisée de l’Union européenne pour un suivi et des comparaisons.
Selon des sources sectorielles, ce décret prévoit des sanctions, incluant la restriction d’accès au réseau électrique pour les installations ne respectant pas les nouvelles normes. Les centres existants auront trois mois pour se conformer. Si cette mesure a été saluée par les associations écologistes, plusieurs acteurs technologiques craignent qu’une réglementation trop rigoureuse ne freine les investissements, notamment ceux encore en phase de planification.
Les récents cas de consommation massive d’eau par Meta et Microsoft aux États-Unis, ainsi que par Amazon dans des régions souffrant de stress hydrique, ont renforcé la perception publique selon laquelle les centres de données doivent devenir plus transparents et durables. En Espagne, des régions comme l’Aragon ou Castilla-La Mancha ont déjà exprimé leurs préoccupations quant à l’impact de ces infrastructures sur des ressources limitées. Le gouvernement assure que la nouvelle réglementation ne vise pas à freiner le développement numérique, mais à garantir qu’il s’effectue dans le respect de la transition écologique et des engagements de réduction des émissions.
L’Espagne doit maintenant jongler entre attirer des investissements technologiques à forte valeur ajoutée et limiter ses effets négatifs sur l’eau, l’énergie et le réseau électrique locaux. Le débat reste ouvert, la consultation publique étant en cours jusqu’au 15 septembre, et jouera un rôle clé dans la détermination de l’étendue finale de cette réglementation.