Le prétendu « déploiement technologique » entre la Chine et l’Occident vient d’accoucher d’un nouveau chapitre. L’analyse du nouveau SoC Kirin 9030 confirme qu’il est fabriqué par SMIC utilisant leur procédé N+3, une évolution de leur précédent N+2 (classe 7 nm) qui, en pratique, rapproche la fonderie chinoise des technologies de 5 nm… sans recourir à la lithographie EUV, la pièce maîtresse de l’équipement que les sanctions américaines avaient bloquée.
Ce n’est pas encore un « 5 nm » à l’image de TSMC ou Samsung, mais c’est clairement un signal que la Chine poursuit sa progression technologique par ses propres moyens, même si cela implique de maximiser l’utilisation des outils DUV et de faire face à des défis de fabrication plus complexes.
Qu’est-ce que le N+3 et quelles implications pour le Kirin 9030 ?
Le Kirin 9030 est un processeur de nouvelle génération destiné aux applications. Tout indique qu’il sera le cœur des futurs smartphones haut de gamme de Huawei. Des analyses indépendantes convergent sur le fait qu’il est produit avec le procédé N+3 de SMIC, une extension progressive du procédé N+2 de 7 nm.
Pour simplifier :
- N+2 correspondrait au « 7 nm » de SMIC, déjà utilisé dans des puces comme le Kirin 9000S.
- N+3 pousse cette technologie un cran plus loin, en réduisant certaines dimensions critiques (notamment le pitch métallique) et en appliquant des optimisations de conception (DTCO, co-optimisation conception-technologie).
En termes de densité de transistors et de scalabilité physique, le N+3 reste derrière les nœuds commerciaux de 5 nm de TSMC ou Samsung. Cependant, le bond est réel : la puce intègre plus de logique dans une même surface et offre une meilleure efficacité par rapport aux 7 nm antérieurs de SMIC.
La partie délicate : comment y parvient-il ? Sans EUV.
Du « 5 nm » à la force : DUV et multipatronnage intensifs
Alors que TSMC et Samsung utilisent depuis des années des scanners EUV (lumière ultraviolet extrême) pour leurs processus en 7, 5 et 3 nm, SMIC ne peut pas accéder à cet équipement. Ils doivent donc recourir à la lithographie DUV (profonde) avec des techniques de multipatronnage très agressives :
- Plus d’étapes d’exposition et de gravure pour chaque couche critique.
- Des alignements beaucoup plus précis.
- Une variabilité accrue et un risque plus élevé de défauts à chaque étape.
Le résultat : le N+3 peut atteindre des pitches métalliques et des géométries proches de celles des 5 nm d’il y a quelques années, mais au prix d’un processus plus complexe, plus coûteux et potentiellement avec un rendement inférieur.
C’est justement cette montée en gamme du métal — un des éléments où SMIC semble avoir poussé le plus — qui soulève des doutes sur la maturité du procédé. Plus on multiplie les étapes DUV pour remplacer la lithographie EUV, plus la probabilité qu’un défaut survienne en millions de chips est grande.
Une vraie innovation… et de nombreux défis en perspective
Sur le plan technique, le N+3 démontre plusieurs points importants :
- SMIC maîtrise désormais un niveau avancé de patterning DUV, au point de pouvoir rivaliser, même si partiellement, avec des nœuds commerciaux de 5 nm en termes de densité.
- Un usage intensif du DTCO, c’est-à-dire des optimisations conjointes de conception et de procédé pour tirer le meilleur parti du même silicium : bibliothèques de cellules plus compactes, routages d’interconnexion optimisés, etc.
- La Chine peut progresser en logique avancée sans accès à l’EUV, ce que de nombreux analystes considéraient peu envisageable à court terme.
Mais cette avancée comporte aussi des revers :
- Rendements incertains : plus le multipatronnage est agressif, plus il est difficile de maintenir des yields commerciaux élevés. Il est probable que les premiers lots de N+3 soient coûteux et avec des chiffres serrés.
- Coût par wafer élevé : plus d’étapes de traitement impliquent plus d’heures en machine, plus de produits chimiques, plus de métrologie et de tests.
- Une fenêtre de compétitivité limitée : pendant que SMIC « poursuit » les 5 nm via le DUV, TSMC exploite déjà des nœuds de 3 nm et avance vers du 2 nm avec EUV et High-NA en perspective.
En résumé, le N+3 constitue une réussite notable, mais ne comble pas complètement l’écart avec les leaders mondiaux ; il le réduit partiellement, peut-être pour une période limitée.
Implications pour Huawei et l’écosystème chinois
Pour Huawei, qui subit depuis des années des restrictions d’accès à des fonderies comme TSMC, le Kirin 9030 en N+3 représente surtout une preuve de faisabilité :
- Il peut continuer à lancer des SoC propres en restant relativement compétitifs sans dépendre des fabrications à l’extérieur de la Chine.
- Il renforce le discours interne sur la « souveraineté technologique » que Pékin veut promouvoir, tant en interne qu’à l’international.
- Il permet à Huawei de rester dans la course du haut de gamme, même si l’efficacité et la performance seront probablement légèrement en retrait par rapport à des rivaux utilisant des puces de 3 ou 4 nm de TSMC ou Samsung.
Pour l’écosystème chinois des semi-conducteurs, le message est clair :
l’investissement massif en R&D, ingénierie de procédé et outils nationaux peut en partie compenser — à un coût supérieur et avec plus de friction technique — les sanctions.
Une lecture géopolitique : le « plafond » des sanctions
Le cas du Kirin 9030 et du N+3 pose aussi une question embarrassante pour les États-Unis et leurs alliés :
- Si, même sans EUV, une fonderie sous sanctions peut atteindre une sorte de « 5 nm renforcé DUV », où se situe réellement le plafond des restrictions ?
- Dans quelle mesure la stratégie de contrôle des exportations pousse-t-elle la Chine à construire une chaîne de valeur parallèle, plus résiliente et moins dépendante de l’Occident à long terme ?
A court terme, les sanctions limitent toujours l’accès chinois aux technologies les plus avancées (véritable 3 nm, High-NA EUV, équipements de métrologie de pointe, etc.). Mais ce que montre le N+3, c’est que les barrières ne sont pas absolues, mais graduelles : elles ralentissent, rendent plus coûteux et compliquent, mais n’arrêtent pas totalement le progrès.
Et maintenant ?
Le Kirin 9030 et le procédé N+3 de SMIC ne constituent pas une surprise totale, mais ils confirment néanmoins une réalité :
la Chine a trouvé une voie, techniquement complexe et économiquement plus coûteuse, pour continuer à réduire la taille de ses transistors sans accès aux équipements les plus avancés mondiaux.
Concrètement, les prochains mois révéleront :
- Le volume réel que peut atteindre SMIC avec le N+3.
- Le comportement des dispositifs N+3 en termes de consommation, température et fiabilité sur le long terme.
- Si une version « N+3 améliorée » apparaît, affinant encore davantage la densité et la performance.
En attendant, le message du Kirin 9030 est clair : la course au leadership dans les semi-conducteurs avancés ne se résume pas à qui possède le meilleur nod, mais à qui peut maintenir son avancée technologique malgré la pression géopolitique et les barrières d’accès.
Et dans cette compétition, la sortie d’un « presque 5 nm sans EUV » en production commerciale est un jalon que personne ne peut se permettre d’ignorer.
Image générée par IA.