Titre : La course à la suprématie de l’informatique quantique : Google, Microsoft, Amazon et IBM en compétition
Chaque géant technologique avance avec sa propre vision d’une technologie qui pourrait révolutionner la médecine, la sécurité et l’industrie, bien qu’elle soit encore à un stade expérimental.
L’informatique quantique n’est plus une promesse lointaine réservée aux scientifiques et aux laboratoires d’élite. Google, Microsoft, Amazon et IBM se livrent à une intense bataille technologique pour être les premiers à construire un ordinateur quantique fonctionnel à grande échelle, capable de résoudre des problèmes impossibles pour les ordinateurs traditionnels.
Les enjeux ne sont pas moindres : des découvertes de nouveaux médicaments à la rupture de systèmes de chiffrement, en passant par des modèles climatiques plus précis ou des nouveaux matériaux pour l’aérospatiale, les ordinateurs quantiques pourraient changer à jamais notre approche des défis les plus complexes de notre époque.
La promesse quantique : qu’est-ce que les qubits ?
Contrairement aux bits traditionnels (0 et 1), l’informatique quantique repose sur les qubits, des unités capables de représenter plusieurs états simultanément grâce à des phénomènes tels que la superposition et l’intrication quantique. Cette propriété permettrait d’effectuer des calculs parallèles à une échelle inégalée par l’informatique classique.
Cependant, un problème demeure : les qubits sont extrêmement instables, sensibles au moindre bruit de l’environnement, et leur comportement est difficile à contrôler. À mesure que l’on ajoute davantage de qubits, les erreurs se multiplient, rendant encore plus complexe la scalabilité des systèmes quantiques.
Microsoft : des qubits topologiques avec Majorana 1
Microsoft a choisi une approche distincte : les qubits topologiques, une catégorie théorique de qubits plus résistants aux erreurs. Son processeur Majorana 1, présenté en février, utilise un état exotique de la matière — ni solide, ni liquide, ni gazeux — pour créer des qubits capables de conserver l’information même en cas de défaillance partielle.
Cet approche, plus théorique et moins répandue en laboratoire, pourrait offrir des avantages significatifs si sa viabilité est confirmée. Cependant, de nombreux experts s’accordent à dire que Microsoft doit encore prouver la solidité de ses résultats, bien que son article dans le journal Nature ait suscité un optimisme modéré au sein de la communauté scientifique.
Google : Willow et le saut “en dessous du seuil”
De son côté, Google a présenté Willow, un chip quantique qui a surpris par sa capacité à réduire les erreurs à mesure que l’on ajoute davantage de qubits, un phénomène qui, historiquement, se produisait à l’inverse. Cet exploit — connu sous le nom de “below the threshold” — pourrait ouvrir la voie à une véritable scalabilité.
Selon Google, Willow a résolu un problème en cinq minutes qu’il faudrait à l’ordinateur le plus puissant au monde 10 septillions d’années pour résoudre, bien que cet exercice soit purement théorique et que le défi reste de le démontrer avec des applications pratiques.
Amazon : Ocelot et la correction d’erreurs quantiques
Amazon Web Services (AWS) a également lancé son projet avec Ocelot, un prototype qui améliore jusqu’à 90 % l’efficacité de la correction d’erreurs quantiques. Basé sur des qubits supraconducteurs de type « cat qubit », inspirés de l’expérience du chat de Schrödinger, Ocelot est construit avec des procédés de l’industrie électronique conventionnelle, ce qui pourrait faciliter sa production à grande échelle.
Bien qu’il reste du chemin à parcourir, des experts comme Troy Nelson, CTO de Lastwall, estiment qu’Ocelot représente “un grand saut en avant.”
IBM : Condor et une approche modulaire
IBM, pionnier dans ce domaine depuis des décennies, a présenté en décembre Condor, son processeur quantique le plus puissant, et Heron, une puce plus petite mais plus stable. La société concentre ses efforts sur la modularité : connecter plusieurs puces plus petites pour former des ordinateurs quantiques plus robustes.
L’approche d’IBM met l’accent sur la mitigation des erreurs plutôt que sur la correction directe, une stratégie qui a montré de bons résultats à petite échelle, mais qui doit être adaptée pour maintenir son efficacité lors de l’échelle.
Qui est en tête ?
Selon Sankar Das Sarma, physicien théorique à l’Université du Maryland, les technologies de Google, Amazon et IBM utilisent des méthodes plus conventionnelles basées sur des qubits supraconducteurs, tandis que Microsoft explore une voie alternative avec des qubits topologiques, une approche plus expérimentale qui pourrait offrir une plus grande stabilité à long terme.
Malgré les avancées, tous les experts s’accordent à dire que l’informatique quantique est encore en phase de laboratoire. « Nous sommes encore loin d’un ordinateur quantique pleinement fonctionnel», avertit Scott Crowder, vice-président d’IBM. « Une publicité excessive peut jouer contre nous et générer une déception avant que le véritable potentiel ne se concrétise. »
Fait intéressant, au-delà des géants technologiques, un écosystème croissant de startups et d’entreprises de capital-risque explore également des voies alternatives vers l’informatique quantique. Des sociétés comme IonQ, Rigetti, Pasqal, Quantinuum ou Quantum Circuits, parmi bien d’autres, travaillent sur des technologies disruptives qui pourraient changer la donne. Dans un domaine aussi émergent, il est possible qu’une de ces jeunes entreprises franchisse le cap et devance les leaders actuels, redéfinissant le paysage quantique mondial.
Conclusion : une révolution qui progresse pas à pas
L’informatique quantique promet de transformer des industries entières, de la médecine à la cybersécurité, mais cela ne se fera pas du jour au lendemain. Chaque entreprise avance avec son propre plan, confrontée à d’énormes défis techniques tels que la correction d’erreurs, la stabilité des qubits, ou la scalabilité des systèmes.
Et bien que les gros titres annoncent des exploits spectaculaires et des records théoriques, la véritable révolution quantique nécessite encore du temps, de la précision… et de nombreux tests supplémentaires. La seule certitude est que la compétition est lancée, et n’importe qui — qu’il s’agisse d’un géant technologique ou d’une startup visionnaire — pourrait créer la surprise.