Le Ministère du Commerce de Chine a inscrit l’entreprise canadienne TechInsights sur sa Liste des Entités Non Confiables, une mesure qui interdit à toute entreprise ou citoyen chinois de collaborer ou de partager des informations avec cette société. Cette décision intervient quelques mois après que la société d’analyse technologique ait publié plusieurs rapports démontrant que Huawei continuait d’utiliser des technologies de TSMC et d’autres fabricants étrangers pour produire des puces avancées, malgré les sanctions américaines.
Un sanction pour avoir dévoilé des secrets gênants
TechInsights est l’une des entreprises d’ingénierie inverse les plus réputées au monde. Ses analyses de semi-conducteurs, connues sous le nom de teardowns, ont été essentielles pour comprendre comment les sociétés contournent les restrictions technologiques internationales. En 2023 et 2024, la société canadienne a démonté et examiné les puces Ascend 910B et Kirin 9000S, découvrant que Huawei dépendait encore de processus et de designs fabriqués avec la technologie de TSMC, Samsung et SK Hynix, malgré les interdictions d’exportation imposées par les États-Unis.
Ces investigations ont non seulement mis en cause le récit officiel de l’autosuffisance technologique de Pékin, mais ont également conduit à une possibilité d’amende de 1 milliard de dollars à TSMC, soupçonnée d’avoir fabriqué des puces pour Huawei au-delà des limites fixées par Washington.
Ce coup porté à TechInsights apparaît donc comme une représaille symbolique : punir celui qui a révélé l’utilisation de technologies étrangères dans l’un des secteurs les plus sensibles pour la Chine.
Que signifie être inscrit sur la “Liste des Entités Non Confiables” ?
Cette inscription, créée par Pékin en 2020 en réponse aux sanctions américaines contre Huawei et d’autres entreprises chinoises, implique une interdiction totale de coopération économique et technologique à l’intérieur du pays.
Selon la résolution du Ministère du Commerce, traduite par Bloomberg, TechInsights et toutes ses filiales “se voient interdire de participer à des transactions, collaborations ou activités en Chine, notamment celles impliquant la transmission de données ou d’informations sensibles”.
Concrètement, cela signifie que aucune entreprise chinoise ne pourra collaborer avec TechInsights, ni commander ses analyses, ni faciliter l’accès à ses produits pour étude.
En liste noire aux côtés de fournisseurs de défense
Ce cas est d’autant plus remarquable que TechInsights n’est pas une entreprise militaire ni un contractant gouvernemental, contrairement à la majorité des sociétés figurant dans la liste. Parmi les sanctionnés figurent Elbit Systems of America, BAE Systems, ou encore des développeurs de systèmes antidrones comme Dedrone et Epirus, fabricants du système à micro-ondes Leonidas, capable de neutraliser des essaims de drones.
La Chine a justifié cette inclusion commune en avançant que ces entreprises “ont défié les objections de Pékin, ont participé à une coopération militaire-technique avec Taïwan et ont diffusé des déclarations malveillantes à l’encontre de la Chine”. Dans le cas de TechInsights, l’accusation repose sur son assistance aux gouvernements étrangers dans la répression d’entreprises chinoises, une référence directe à ses rôles dans les enquêtes sur Huawei.
Huawei, au cœur de la controverse
Huawei est considéré comme un symbole national de l’indépendance technologique chinoise. Depuis que les États-Unis l’ont inscrite sur leur propre liste noire en 2019, la société est devenue le centre de la guerre technologique mondiale.
Alors que Pékin revendique des avancées dans la fabrication locale de puces en 7 nm et 5 nm, les rapports de TechInsights ont révélé qu’une grande partie de cette production restait dépendante de technologies étrangères, contredisant la narrative d’autosuffisance promue par le Parti communiste.
Les analyses de la société canadienne ont montré que certains puces Huawei comportaient des traces de conception et de processus liés à TSMC et Samsung, laissant penser que les restrictions américaines étaient encore contournées via des voies de fabrication indirectes.
Conséquences et réactions
Pour l’instant, TechInsights n’a pas publié de déclaration officielle concernant son inscription sur la liste noire chinoise. Toutefois, les analystes s’accordent à dire que l’impact immédiat sera limité : la société étant basée en dehors de la Chine, elle peut continuer à se procurer des produits chinois sur des marchés secondaires pour ses recherches.
Cependant, on anticipe déjà une détérioration de l’accès aux sources locales, aux fournisseurs et aux réseaux de distribution, ce qui compliquera ses analyses futures de semi-conducteurs fabriqués en Chine.
Cette mesure pourrait également resser les relations scientifiques et commerciales entre le Canada et la Chine, dans un contexte déjà marqué par une méfiance croissante en matière de sécurité technologique et de transfert de connaissances.
Une démarche au message politique
Au-delà du cas particulier de TechInsights, la décision de Pékin envoie un message d’avertissement aux sociétés étrangères impliquées dans l’analyse de la technologie chinoise : investiguer en profondeur peut avoir des conséquences.
Le gouvernement cherche à protéger ses avancées en semi-conducteurs et en calcul avancé contre la surveillance extérieure, notamment lorsque ces rapports peuvent être utilisés par Washington pour renforcer ses sanctions ou élaborer de nouvelles politiques de contrôle à l’exportation.
Selon un analyste du secteur interviewé par South China Morning Post, “la Chine souhaite préserver sa narrative d’autosuffisance, et punir TechInsights est une manière de dissuader d’autres entreprises d’étudier la fabrication réelle des chips chinois”.
En résumé
- Le Ministère du Commerce de Chine a inscrit TechInsights sur sa Liste des Entités Non Confiables, interdisant toute collaboration avec des entités chinoises.
- Cette mesure fait suite à des enquêtes démontrant que Huawei a utilisé la technologie de TSMC pour produire des puces avancées malgré les sanctions américaines.
- Il s’agit d’une représaille politique et d’un avertissement à d’autres sociétés occidentales impliquées dans l’analyse de matériel chinois.
- Bien que l’impact opérationnel pour TechInsights soit limité, le geste renforce la censure technologique de Pékin et agit comme un facteur d’aggravation des tensions avec l’Occident.
Sources : Ministère du Commerce de Chine, Bloomberg, The New York Times, Tom’s Hardware, South China Morning Post, Reuters.