Broadcom annule son usine de chips en Espagne : une occasion manquée dans la course européenne à la souveraineté technologique

Broadcom annule son usine de chips en Espagne : une occasion manquée dans la course européenne à la souveraineté technologique

Il y a un an, la construction d’une usine de chips en Espagne pouvait sembler une victoire stratégique pour la relance de la microélectronique nationale. Aujourd’hui, cette promesse s’efface, laissant place à une opportunité manquée douloureuse. Broadcom, l’un des géants mondiaux des semi-conducteurs, a en effet confirmé l’annulation définitive de son projet en Espagne après plusieurs mois de négociations stoppées avec le gouvernement espagnol.

L’investissement, estimé à 1 milliard de dollars (environ 920 millions d’euros), devait devenir un moteur de développement important pour l’écosystème microélectronique du pays, soutenu par le programme européen PERTE Chip et les fonds du EU Chips Act. Pourtant, selon des sources proches du dossier, les discussions sont rompues depuis début 2024, et aucune relance n’a été constatée de la part des autorités espagnoles.

L’usine proposée par Broadcom devait se concentrer sur l’assemblage et le test de semi-conducteurs, une étape clé que l’Europe cherche à renforcer afin de réduire sa dépendance technologique à l’Asie. La réalisation de ce projet aurait créé au moins 500 emplois directs, en plus de milliers d’emplois indirects dans la chaîne d’approvisionnement, avec Zaragoza comme ville candidate pour accueillir la nouvelle installation – sans localisation finalement confirmée.

Ce projet s’inscrivait dans la politique espagnole en faveur de l’attraction d’investissements étrangers afin de créer une réelle filière de semi-conducteurs nationale. Toutefois, suite au changement à la tête du ministère pour la Transformation digitale, passant de José Luis Escrivá à Óscar López, les relations avec Broadcom se sont refroidies, jusqu’à s’éteindre complètement. Selon plusieurs sources, Óscar López n’a jamais rencontré l’entreprise.

La situation est aussi compliquée par le contexte géopolitique international. La victoire de Donald Trump lors de l’élection présidentielle de novembre 2024 a renforcé la volonté des États-Unis de privilégier leur propre réindustrialisation, en freinant notamment tout accord stratégique avec des partenaires européens. Ce climat a accentué les difficultés à finaliser l’accord, poussant Broadcom à renoncer à son projet. Une autre joint-venture de 400 millions d’euros, également dans le secteur des semi-conducteurs et impliquant une société technologique américaine, a été abandonnée suite à la prise de pouvoir de Trump.

Selon David Carrero, cofondateur de Stackscale et expert en infrastructure technologique, « la nouvelle administration américaine met tout en œuvre pour réindustrialiser son pays, à tout prix. L’Europe devrait répondre par plus d’unité, une réglementation claire et des engagements solides, indépendants des changements politiques ».

Ce recul constitue une défaite lourde pour le plan PERTE Chip, doté de plus de 12 milliards d’euros pour attirer des investissements et bâtir une filière de semiconducteurs robuste en Espagne. Alors que d’autres initiatives, comme la nouvelle usine d’Intel ou des conventions avec Cisco, progressent, la fermeture de ce projet de grande envergure marque un coup dur. Elle soulève également des doutes sur la capacité de l’Europe à rivaliser avec les États-Unis et l’Asie dans cette compétition mondiale du secteur. L’Allemagne avance avec TSMC et Intel, tandis que la France pousse l’écosystème RISC-V avec SiPearl, laissant l’Espagne perdre une de ses plus importantes opportunités industrielles.

Pour l’instant, ni Broadcom ni le ministère concerné n’ont souhaité faire de commentaires publics sur cette rupture, et aucune autre localisation en Europe n’a été officialisée pour le moment. La seule certitude est que Broadcom ne construira plus son usine en Espagne, ce qui représente un coup d’arrêt dans un marché où chaque étape de fabrication compte énormément.

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