Le système de câbles Bifrost a officiellement obtenu le statut Prêt pour le Service (RFS) et commencera à traiter du trafic commercial dans les prochaines semaines. Ce n’est pas un câble ordinaire : il s’agit du premier système sous-marin au monde reliant directement Singapour à la côte ouest des États-Unis via l’Indonésie — à travers la mer de Java et la mer des Célebés —, avec une longueur supérieure à 20 000 km, une latence aller-retour inférieure à 165 ms entre Singapour et les États-Unis (jusqu’à 10 ms de moins que de nombreux systèmes actuels), et une capacité supplémentaire de plus de 260 Tb/s pour l’un des corridors numériques les plus dynamiques de la planète.
Pour Keppel Ltd., promoteur du projet, Bifrost représente une pièce stratégique de leur plateforme de connectivité et constitue une avancée qualitative pour Singapour en tant que hub digital régional. “Ce projet renforce la connectivité numérique entre l’Asie du Sud-Est et les États-Unis, et soutiendra la croissance de l’économie digitale régionale”, a souligné Manjot Singh Mann, PDG de la division Connectivité chez Keppel. La société a été assignataire de 5 des 12 paires de fibres du système, dans le cadre d’un accord de copropriété 40-60 avec des co-investisseurs de fonds privés, via une joint venture.
Une nouvelle voie via une route inédite : moins de latence, plus de résilience
Le système Bifrost ne réutilise pas les corridors saturés entre l’Asie et l’Amérique ; il dessine une route alternative à travers le Pacifique, diversifiant les points de défaillance et améliorant la redondance régionale. Cette ingénierie de trajectoire permet de réduire la latence — < 165 ms Singapour-États-Unis —, un indicateur critique pour les charges de travail en IA, plateformes cloud natives et services digitaux en temps réel (du streaming à faible latence aux marchés financiers électroniques ou aux jeux en ligne). Dans un monde où les centres de données sont interconnectés à l’échelle hiper-régionale, réduire la latence d’environ 10 ms lors d’un saut transocéanique a un impact visible sur l’expérience utilisateur et l’efficacité opérationnelle des applications distribuées.
De plus, les plus de 260 Tb/s de capacité totale offrent un souffle d’oxygène dans un Pacifique de plus en plus exigeant, marqué par l’essor des modèles fondamentaux, des entraînements distribués, de l’inferencing en périphérie et de la réplication massive de données entre régions, essentiels pour la résilience et la conformité.
Où atterrit Bifrost (et pourquoi cela compte)
Le système élargit la carte de l’interconnexion avec des points d’amarrage à Singapour, Guam et Grover Beach (Californie), ainsi que des unités de dérivation (branching units) qui étendent la connectivité à Jakarta et Manado (Indonésie), Dávao (Philippines) et Winema (Oregon). Cette topologie permet de orienter le trafic de façon dynamique, de rapprocher le câble de marchés clés en Asie du Sud-Est et de multiplier les options de backhaul terrestre vers les centres de données et les points neutres dans chaque pays.
En Philippines, l’opérateur Converge ICT sera le point d’atterrissage à Dávao. Son PDG, Dennis Anthony Uy, a résumé l’impact avec une lecture en double : pour Converge, cela signifie un plus grand espace de bande passante internationale ; pour les Philippines, redondance et diversité de routes pour soutenir leur transformation digitale. Dans l’industrie, cette diversité physique se traduit par moins de risques de corrélation face à des coupures imprévues, des défaillances de route ou des incidents géopolitiques.
La construction a été réalisée par Alcatel Submarine Networks (ASN). Son PDG, Alain Biston, a souligné le travail collaboratif avec Keppel et ses partenaires pour amener le projet à la phase RFS, un jalon parvenu après des campagnes de pose le long du Pacifique et de l’Asie du Sud-Est, ainsi que par des tests de système vérifiant puissance, répéteurs, ROADM sous-marins et équipements terminaux.
Aspect technique et commercial : paires de fibres, spectrum et gestion du partage de capacité
Bifrost dispose de 12 paires de fibres. Keppel et ses coinvestisseurs contrôlent 5 paires dans le cadre d’une JV 40-60 ; le reste est loué à d’autres locataires et clients en gros, qui achètent des capacités (spectrum ou longueurs d’onde) selon leurs besoins. Ce modèle offre aux hypervolumétriques, opérateurs et géants OTT la possibilité d’acquérir une capacité illimitée par paire ou partagée par spectre, avec la possibilité d’évoluer via des amplificateurs et des équipements terminaux de côte dernier cri pour maximiser l’utilisation de la bande passante par paire.
Pour les opérateurs cloud, une paire de fibres sombre correspond à une voie exclusive pour connecter leur cloud avec leur propre infrastructure optique et cryptage; quant aux opérateurs télécoms, un contrat spectrum permet de réduire le capex initial et d’accélérer la mise sur le marché avec des ondes de 400/800G et une gestion du burn par le consortium.
Pourquoi ce câble est-il crucial pour la vague de l’IA ?
Cela repose sur trois raisons, toutes convergentes :
- Latence plus faible. Inférences et applications en temps réel (co-pilotes d’entreprise, analytics interactif, trading algorithmique) bénéficient de temps de réponse plus courts. En entraînements distribués, les checkpoints et la synchronisation (all-reduce, parameter servers) souffrent moins.
- Capacité massive. Les 260 Tb/s additionnels atténuent le trafic trans-PACIFIQUE, où la réplication de datasets et le transfert d’instantanés incrémentaux pour la reprise après sinistre (DR) ou la continuité d’activité (BCP) sont déjà une exigence réglementaire et opérationnelle.
- Itinéraires diversifiés. La gestion stratégique des routes, avec des branches vers l’Indonésie et les Philippines, et deux landings américains (Californie et Oregon), répartit le risque et augmente la disponibilité. C’est essentiel pour atteindre des SLA de cinq neuf dans les services mondiaux.
Singapour renforce son rôle de hub digital
Avec Bifrost, Singapour élargit son rôle comme point d’attache des câbles sous-marins internationaux et comme pôle de centres de données. Pour Keppel, qui gère un écosystème allant bien au-delà de l’investissement capital — comprenant infrastructure, immobilier et services de connectivité —, le câble constitue une levier de création de valeur pour les clients cloud et technologiques. La société a déjà exprimé son intention d’étendre son empreinte sous-marine en Asie et dans d’autres marchés, en se positionnant comme société intégrée parmi les gros acteurs de la cloud.
Parallèlement, le Sud-est asiatique — grâce à sa démographie, sa pénétration numérique et sa manufacture de haute valeur — nécessite davantage de backbones pour complémenter (et, lorsque nécessaire, éviter) les hubs classiques. Bifrost ajoute de nouveaux pistes et sorties dans un funnel où la congestion représente un vrai risque face à l’explosion du trafic causée par la génération IA, la vidéo 4K/8K et la digitalisation des services.
Guam, Indonésie et Philippines : plus que de simples points sur une carte
- Guam est une pièce clé de la topologie transpacífica : sa position permet d’interconnecter avec d’autres réseaux et d’optimiser les routes vers Nordamérica ou l’Asie du Nord.
- Jakarta et Manado intègrent l’Indonésie, quatrième pays le plus peuplé du monde, dans le réseau principal, avec des bénéfices directs pour leur écosystème cloud, leur économie numérique et leur déploiement de l’IA dans des secteurs comme la finance, le commerce de détail et la logistique.
- Dávao offre un point d’amarrage supplémentaire pour les Philippines, en dehors des hubs traditionnels de Luzon, augmentant la redondance nationale et la capacité pour les opérateurs et OTT locaux.
- Grover Beach (Californie) et Winema (Oregon) ouvrent deux portes à la colonne vertébrale américaine, facilitant une recherche de backhaul diversifié vers Silicon Valley, Los Angeles, Portland et les clusters de centres de données du Noroût.
Ce design multi-nœuds repose en grande partie sur la résilience : itinéraires multiples, plusieurs landings et répartiteurs sous-marins ROADM capables de reconfigurer le trafic lors d’incidents ou de maintenances.
Et maintenant ? De RFS à la mise en trafic réelle
Le statut RFS marque la fin des tests système et le démarrage de l’exploitation commerciale. Dans les semaines à venir, les clients en gros et locataires commenceront à activer leurs longueurs d’onde et à transférer leurs flux depuis des câbles existants. Simultanément, les ingénieurs IP transit ajusteront les politique de routage pour tirer parti des avantages de Bifrost (latence et capacité), tandis que les fournisseurs de contenu et cloud recalibreront leur architecture d’interconnexion régionale.
Pour ASN, cette étape valide la technologie et la mise en œuvre dans un environnement où les systèmes de dernière génération exigent plus de puissance par span, répéteurs plus efficaces et composants optiques à spectre étendu (C+L), prêts pour des terabits par paire.
Ce que cela signifie pour les entreprises et le cloud
- Moins de jitter et RTT réduit dans les flux critiques Asia↔États-Unis (par ex., synchronisation de bases de données, microservices entre régions, all-reduce lors d’entraînements distribués).
- Plus de marge pour un multi-région actif-actif et une continuité d’activité (DR) par réplication continue.
- Itinéraires alternatifs avec des SLA différenciés (latence vs coûts), en utilisant le branchements vers l’Indonésie et les Philippines pour des services locaux.
- Améliorations de l’expérience utilisateur dans le streaming, les jeux sur le cloud et la collaboration en temps réel.
En résumé : un nouveau couloir plus rapide entre deux rives où chaque mois, plus de données sont échangées.
Questions fréquentes
Quelle est la latence du câble Bifrost Singapour-États-Unis, et comment cela se compare-t-il aux systèmes existants ?
Bifrost offre une RTT inférieure à 165 ms entre Singapour et la côte ouest des États-Unis, jusqu’à 10 ms de moins que de nombreux systèmes actuels grâce à sa nouvelle route passant par l’Indonésie. Ceci est crucial pour l’IA, le cloud distribué et les services en temps réel.
Quelle capacité totale Bifrost ajoute-t-il, et comment est-elle répartie ?
Le système injecte plus de 260 Tb/s de capacité supplémentaire dans le couloir transpacífique. Il comporte 12 paires de fibres ; Keppel et ses coinvestisseurs contrôlent 5 paires via une JV 40-60. Le reste est loué à des opérateurs, hypervolumétriques ou OTT, via des paires sombres, du spectrum ou des longueurs d’onde.
Quels sont les points d’amarrage clés et les dérivations de Bifrost ?
Les points principaux sont à Singapour, Guam et Grover Beach (Californie), avec des ramifications vers Jakarta et Manado en Indonésie, Dávao aux Philippines, et Winema (Oregon). Cette topologie renforce la résilience et permet un routing dynamique régional.
Comment Bifrost contribuera-t-il à l’économie numérique de l’Asie du Sud-Est ?
Il apporte latence inférieure, capacité massive et itinéraires diversifiés pour l’IA, le cloud natif, la finance, la manufacture et les services publics. Des pays comme l’Indonésie et les Philippines gagnent en redondance et en connectivité internationale, accélérant leur transformation digitale.
Source : keppel et submarine networks