À partir du 1er janvier 2026, tous les véhicules circulant sur les routes espagnoles seront tenus de remplacer les triangles de signalisation d’urgence par des balises lumineuses V16 connectées à la plateforme DGT 3.0. Équipées de géolocalisation et de connectivité IoT, ces signaux sont présentés comme une avancée majeure en matière de sécurité routière : ils permettent d’alerter en quelques secondes d’autres conducteurs et les centres de contrôle du trafic sans que la personne concernée doive sortir de son véhicule.
Cependant, une étude publiée le 5 décembre 2025 par l’indépendant Luis Miranda Acebedo a mis en évidence plusieurs alarmes. L’analyse technique de la balise Help Flash IoT — l’un des modèles les plus connus du marché, commercialisé avec Vodafone et homologué par la DGT — révèle une chaîne de vulnérabilités qui, selon l’auteur, pourrait transformer un dispositif conçu pour sauver des vies en un point faible dans l’infrastructure critique de circulation.
Selon les données de l’opérateur lui-même, Vodafone a déjà commercialisé plus de 250 000 unités de balises V16 connectées Help Flash IoT en Espagne, ce qui multiplie considérablement le potentiel d’impact d’une faille de sécurité.
Un dispositif clé pour la nouvelle sécurité routière connectée
Help Flash IoT est une balise V16 connectée développée par la société galicienne Netun Solutions. Le dispositif se fixe par aimant sur le toit du véhicule, émet une lumière LED visible à 1 km et transmet automatiquement la localisation du véhicule arrêté vers le cloud DGT 3.0 via une eSIM et le réseau NB-IoT de Vodafone, avec un forfait de données inclus pour 12 ans et sans coûts supplémentaires, conformément aux fiches techniques et à la réglementation en vigueur.
La philosophie derrière la V16 connectée est simple : réduire le nombre de personnes marchant sur la bande d’arrêt d’urgence pour placer les triangles, augmenter la visibilité depuis l’intérieur du véhicule et fournir des données en temps réel pour alerter les autres conducteurs via panneaux à messages variables et applications de navigation. En théorie, un exemple clair de comment l’Internet des Objets (IoT) peut améliorer la sécurité sur la route.
Précisément en raison de son rôle critique — et du fait qu’elle deviendra un dispositif obligatoire par la loi — la robustesse de sa conception en matière de cybersécurité acquiert une importance qui dépasse largement celle d’un simple “gadgets” automobile.
L’enquête : d’un port série ouvert à une cascade de vulnérabilités
Dans son rapport public, Miranda précise avoir analysé plusieurs unités de Help Flash IoT achetées via le canal commercial, sans accès à des systèmes tiers et en suivant une démarche de divulgation responsable. Certains détails techniques et le code complet de la preuve de concept ont été délibérément omis pour éviter une exploitation massive.
Il identifie deux grands ensembles de vulnérabilités :
- Communications mobiles non chiffrées et sans authentification robuste.
- Système de mise à jour OTA (Over-The-Air) via WiFi non documenté, dépourvu de contrôle d’authenticité et d’intégrité du firmware.
Ces deux failles, combinées, créent un scénario évoquant plus un “comment ne pas concevoir un dispositif IoT” qu’un produit homologué pour une intégration dans la plateforme nationale DGT 3.0.
Les communications en clair : la balise “crie” sa localisation et son identité
Le fonctionnement basique de la Help Flash IoT, selon l’analyse, suit le schéma prévu par la réglementation : à l’activation, la balise obtient ses coordonnées GPS, se connecte via NB-IoT à l’opérateur, et envoie périodiquement des messages contenant des informations comme l’heure de l’incident, la localisation, les identifiants du dispositif et les paramètres réseau.
Le problème, selon Miranda, se situe dans la manière dont tout cela est réalisé : les données sont transmises en texte clair, sans chiffrement à l’application ni mécanisme robuste d’authentification ou d’intégrité des messages. En d’autres termes, le serveur ne peut pas vérifier que le message provient réellement d’une balise légitime ou garantir qu’il n’a pas été modifié en transit.
Concrètement, cela comporte trois risques majeurs :
- Atteinte à la vie privée. Un attaquant capable d’observer ce trafic pourrait suivre en temps réel la localisation associée à un appareil précis, connaître le moment exact de l’incident et accéder à des identifiants uniques comme l’IMEI.
- Usurpation d’identité. Si le serveur se fie à un simple identifiant en clair, il devient beaucoup plus facile de créer des faux messages semblant provenir d’une balise spécifique.
- Modification de données en transit. Sans signatures ou sceaux d’intégrité, un attaquant en position médiane pourrait altérer les coordonnées ou autres paramètres avant leur renvoi.
Les opérateurs pensent que l’usage de réseaux APN privés — isolant logiquement les balises dans l’infrastructure mobile — limite les attaques extérieures. Mais l’étude remet en question cette “sécurité par l’obscurité” : avec un accès physique à la balise ou en utilisant le dispositif comme modem, il serait possible de se connecter à ce réseau et transformer un périmètre supposé fermé en un environnement beaucoup plus ouvert.
Fake eNodeB : stations de base factices pour intercepter et manipuler le trafic
L’étude va plus loin en proposant un scénario bien connu en cybersécurité mobile : l’usage de fausses stations de base (fake eNodeB) pour attirer les appareils NB-IoT dans une antenne contrôlée par l’attaquant.
Avec du matériel abordable — une radio SDR (Software Defined Radio), un PC sous Linux et des logiciels libres comme srsRAN ou OpenAirInterface — un attaquant pourrait créer une cellule LTE factice, réaliser des interférences ciblées sur les bandes utilisées par les balises, et faire en sorte qu’elles se connectent à son antenne plutôt qu’à celle du vrai opérateur.
Une fois connectée, la balise continuerait à transmettre ses messages, mais :
- En mode basique, tout ce trafic serait perdu (attaque par déni de service), l’attaquant pouvant stocker emplacements, IMEI et autres métadonnées.
- En mode plus avancé, si l’attaquant parvient à accéder à l’APN privé, il pourrait jouer le rôle d’homme du milieu (MITM) : lire, modifier ou injecter des messages avant qu’ils n’atteignent les serveurs du fabricant.
Le chiffrement LTE standard protège le lien radio, mais pas le contenu des trames UDP applicatives si elles transitent en clair. La balise “fait confiance” à la gestion du réseau mobile, qui, mal exploitée, pourrait devenir un canal discret pour des attaques difficiles à détecter.
La faille des mises à jour OTA : un simple bouton de 8 secondes
Si la partie communication est inquiétante, le système de mise à jour OTA décrit dans le rapport ajoute une couche supplémentaire de risque.
Selon Miranda, la balise intègre un mode d’update par WiFi qui n’est pas documenté officiellement. Pour l’activer, il suffit de maintenir enfoncé le bouton d’alimentation durant environ 8 secondes. Aucun code PIN, aucune application ou confirmation supplémentaire n’est requise : il suffit d’un accès physique momentané au dispositif.
Une fois en mode de mise à jour, la balise cherche un réseau WiFi avec un SSID et un mot de passe fixes, intégrés dans le firmware et partagés par toutes les unités analysées. Autrement dit, des identifiants communs pour des dizaines voire des centaines de milliers de dispositifs.
La procédure de mise à jour révélée dans l’étude présente plusieurs failles graves :
- Utilisation de HTTP au lieu de HTTPS. Les balises téléchargent configuration et firmware sans chiffrement ni protection contre la manipulation.
- Absence de vérification du serveur. Aucun contrôle de certificats, l’authenticité de la source n’est pas vérifiée : tout serveur répondant au nom d’hôte attendu est acceptable.
- Firmware sans signature numérique. Le dispositif ne vérifie pas cryptographiquement que l’image logicielle provient du fabricant.
Avec ces défauts, un attaquant pouvant créer un point d’accès WiFi avec le même nom et mot de passe, un serveur DNS simple et un serveur HTTP sur un portable ou une petite plateforme (ex. Raspberry Pi), pourrait manipuler la balise pour qu’elle télécharge et installe un firmware modifié. L’auteur de l’étude affirme avoir testé en laboratoire que la compromission peut être réalisée en moins d’une minute après avoir appuyé sur le bouton.
Dès lors, le contrôle total du dispositif est possible : envoyer de fausses localisations, bloquer la transmission d’alertes, accéder à l’APN privé ou transformer la balise en “brique lumineuse” hors de la réglementation, tout en conservant son apparence de produit homologué.
De l’accès physique ponctuel à la compromission distant et massive
Un des aspects les plus critiques de l’étude concerne la façon dont ces vulnérabilités s’enchaînent.
Initialement, le chercheur a transmis ses constats à l’INCIBE (Institut National de la Cyber-sécurité), qui, selon le rapport, a refusé d’attribuer des identifiants CVE, considérant que les vulnérabilités nécessitaient un accès physique à l’électronique du dispositif.
Cependant, la possibilité d’une mise à jour OTA modifie la donne : un accès physique aussi limité que d’appuyer sur un bouton pendant 8 secondes peut suffire pour installer un firmware exécutable à distance, exploitable à tout moment et de manière persistante, en tirant parti des autres failles de communication sans recontacter la balise.
Le chercheur a également soumis la documentation à MITRE, organisme responsable de la base de données CVE, pour évaluer si ce type de scénario pourrait constituer une vulnérabilité de cybersécurité IoT. La décision n’est pas encore publique.
Scénarios d’attaque : du garage local à la van en mouvement
Le rapport propose plusieurs scénarios — certains particulièrement plausibles — où ces vulnérabilités pourraient être exploitées :
- Compromission en atelier ou lors de révision. Un garage peu scrupuleux pourrait profiter du séjour du véhicule pour activer le mode OTA et charger un firmware trafiqué en quelques secondes, sans laisser de trace visible.
- Points d’accès malveillants dans les stations-service ou aires de repos. Avec des réseaux WiFi falsifiés configurés avec les identifiants de mise à jour connus, toute balise en mode OTA dans ces zones pourrait être reprogrammée automatiquement.
- Fourgon avec antenne sur la route. Un attaquant équipé d’une fake eNodeB mobile pourrait parcourir des zones de trafic intense pour intercepter, dégrader ou injecter de fausses alertes dans la plateforme de gestion.
Les conséquences dépassent la simple vie privée : un nombre suffisamment élevé de balises compromises pourrait fragiliser la confiance dans le système DGT 3.0, déclencher des fausses alarmes ou, dans le pire des cas, masquer de véritables incidents en certains endroits ou à certains moments.
Un dispositif obligatoire… mais avec une sécurité optionnelle
Alors que des associations de consommateurs telles que l’OCU ou FACUA alertent depuis plusieurs mois sur la vente de balises V16 non homologuées ou ne respectant pas les exigences de connectivité à l’horizon 2026, l’étude de Miranda soulève une nouvelle problématique : que se passe-t-il lorsque le problème n’est pas uniquement l’homologation visible, mais ce qui se passe “sous le capot” en termes de cybersécurité ?
Le contraste est saisissant : le même écosystème qui impose aux conducteurs de vérifier le numéro d’homologation et la connexion à DGT 3.0 fait confiance à des dispositifs qui, selon cette analyse, manquent d’éléments de base comme :
- Chiffrement de bout en bout des communications avec le backend.
- Authentification forte du serveur et du firmware.
- Signatures numériques et démarrage sécurisé (Secure Boot) pour empêcher toute modification non autorisée.
Jusqu’à la date de cette publication, aucun communiqué officiel spécifique du fabricant, de la DGT ou de l’opérateur concerné n’a été publié concernant ces résultats. Toutefois, le contexte social croissant autour du déploiement massif de dispositifs connectés obligatoires soulève des préoccupations relatives à la vie privée et au risque d’utilisation de ces dispositifs comme vecteurs d’attaques dans l’infrastructure de mobilité intelligente.
Ce qu’il faudrait faire maintenant
Le cas de Help Flash IoT, tel que présenté dans l’étude, illustre de manière pédagogique ce que de nombreux experts alertent depuis des années : la sécurité dans l’IoT ne doit pas être une option de dernière minute, surtout lorsqu’il s’agit de dispositifs de sécurité critique soumis à une obligation légale.
Plusieurs voix du secteur de la cybersécurité, interrogées dans d’autres contextes, recommandent notamment :
- Renforcer les exigences de sécurité minimales dans la réglementation, intégrant chiffrement, authentification, gestion des clés et mise à jour sécurisée comme conditions d’homologation.
- Mettre en place des audits techniques indépendants, avant et après certification, surtout pour les dispositifs intégrés dans des plateformes nationales comme DGT 3.0.
- Améliorer la transparence et la gestion des vulnérabilités, permettant aux chercheurs et fabricants de collaborer efficacement et de ne pas laisser des failles en suspens.
De leur côté, les conducteurs peuvent : vérifier que leur balise est homologuée, suivre les recommandations officielles, ne pas manipuler le dispositif inutilement, et rester attentifs aux communications du fabricant ou de la DGT concernant les mises à jour ou les rappels de produit.
Ce qui est en jeu, ce ne sont pas seulement l’efficacité d’une lumière de signalisation d’urgence, mais aussi la confiance dans un modèle de sécurité routière de plus en plus connecté, où un défaut de conception pourrait se multiplier à des centaines de milliers d’exemplaires à travers le pays.
Questions fréquentes sur les balises V16 connectées et la sécurité de Help Flash IoT
Qu’est-ce qu’une balise V16 connectée et pourquoi sera-t-elle obligatoire en Espagne ?
La balise V16 connectée est un dispositif lumineux d’urgence placé sur le toit du véhicule en cas de panne ou d’accident. Elle émet une lumière visible à 360° et transmet également la position précise du véhicule immobilisé à la plateforme DGT 3.0 via une eSIM intégrée et une connectivité IoT. À partir du 1er janvier 2026, elle remplacera les triangles de signalisation d’urgence comme seul système homologué en Espagne, dans le but de réduire le nombre d’accidents et d’améliorer la gestion des incidents routiers.
En quoi consistent les vulnérabilités identifiées dans la balise Help Flash IoT ?
Selon l’étude de Luis Miranda Acebedo, les principales failles concernent deux domaines : les communications mobiles, qui s’effectuent en texte clair, sans authentification ni intégrité robuste, et le système de mise à jour OTA via WiFi, activé par une simple appui prolongé sur le bouton, et basé sur un réseau WiFi avec identifiants communs, sans HTTPS ni signature numérique du firmware. La combinaison de ces défauts permettrait d’intercepter, de manipuler ou de falsifier les alertes envoyées par la balise à l’infrastructure du fabricant et, par extension, à la plateforme DGT 3.0.
Quels risques réels pour un conducteur utilisant une balise V16 vulnérable ?
Pour l’utilisateur individuel, le plus grand risque est que, en situation d’urgence, la balise ne remplisse pas sa fonction : elle pourrait cesser d’envoyer l’alerte, transmettre une localisation erronée ou se comporter de manière imprévisible si elle a été compromise. Cela comporte aussi un impact sur la vie privée — possible suivi de la localisation — et une menace systémique : un grand nombre de balises manipulées pourrait provoquer de fausses alertes massives ou perturber la gestion des incidents réels par les services de traffic.
Que peuvent faire les fabricants, régulateurs et usagers suite à la révélation de ces failles ?
Les fabricants doivent revoir leur conception en matière de sécurité, publier des mises à jour cryptées, fermer les accès vulnérables et instaurer un dispositif clair de divulgation des vulnérabilités. La DGT et les autorités devraient évaluer si les exigences actuelles d’homologation suffisent pour ces dispositifs critiques, et intégrer des critères explicites de cybersécurité. Les usagers, eux, peuvent vérifier que leur balise est homologuée, suivre les recommandations officielles, éviter de manipuler inutilement le dispositif, et se tenir informés des éventuelles mises à jour ou rappels via le fabricant ou la DGT.
Sources :
– Rapport technique “Vulnerabilités dans les Balises V16 Connectées : Quand la Sécurité Routière Devient Risquée”, de Luis Miranda Acebedo, publié sur GitHub le 05/12/2025.